Par Léa Trentalaud, consultante senior chez CHEFCAB
Héritée de soulèvements populaires outre-Atlantique, la journée du 1er-mai revêt une symbolique toute particulière pour les travailleurs, en France comme à l’international. Les revendications de 1886 à Chicago pour la journée de travail de 8 heures ont traversé l’Atlantique, et en 1889, lors du Congrès de la IIᵉ Internationale socialiste à Paris, il est décidé que le 1er-mai serait désormais une journée de manifestations ouvrières, et de lutte pour les droits des travailleurs. Le 1er-mai devient officiellement un jour férié chômé le 26 avril 1946, après une tentative de récupération par le régime de Vichy en 1942, en faisant une journée de propagande à la gloire du Maréchal Pétain.
Aujourd’hui férié dans 24 des 27 Etats-membres de l’UE, le 1er-mai célèbre les grandes conquêtes sociales, et la France est l’un des trois Etats-membres à en faire un jour obligatoirement chômé, hors services essentiels. La fête du travail demeure une journée de revendications sociales, à travers les traditionnelles manifestations du 1er-mai. Cette année ne fait pas exception : partout sur le territoire, les syndicats ont appelé à défiler pour défendre la paix, la justice sociale et les libertés des travailleurs. Alors que le conclave sur les retraites semble au point mort, l’intersyndicale revendique également l’abrogation de la réforme des retraites. Pourtant, malgré son héritage social, la mobilisation du 1er-mai s’est progressivement essoufflée. Si 2023 avait connu un regain de mobilisation en pleine réforme des retraites, avec plus de 720 000 manifestants, selon le ministère de l’Intérieur, la participation oscille généralement autour de 150 000 personnes.
« La fête du travail serait-elle en train de devenir un jour férié comme un autre ? Cet éloignement progressif des enjeux sociaux peut s’expliquer par la perte d’influence des syndicats auprès des salariés »
La fête du travail serait-elle en train de devenir un jour férié comme un autre ? Cet éloignement progressif des enjeux sociaux peut s’expliquer par la perte d’influence des syndicats auprès des salariés – seuls 10,1% d’entre-eux sont aujourd’hui syndiqués. Et les remises en cause à l’œuvre de son caractère chômé fragilisent davantage la fête du travail.
Alors que les boulangeries font partie des commerces dont les salariés ne peuvent travailler le 1er-mai, la jurisprudence pourrait toutefois faire évoluer ces acquis. Ce 25 avril, en Vendée, le Tribunal administratif de La Roche-sur-Yon a prononcé la relaxe de 5 boulangers sanctionnés pour avoir poursuivi leur activité le 1er-mai. Cette décision du Tribunal administratif a rapidement rebondi sur le terrain politique. Plusieurs parlementaires s’en sont emparés, jusqu’à y impliquer la Ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin. Cette dernière a affiché son soutien à la proposition de loi faite par la Sénatrice Annick Billon et le Président de l’Union Centriste, Hervé Marseille afin de permettre aux boulangeries et aux fleuristes de faire travailler leurs salariés en ce jour férié.
« Bien que le « volontariat » des salariés soit mis en avant par le gouvernement pour justifier son soutien à cette proposition de loi, le libre choix des travailleurs à travailler ce jour-là semble difficile à quantifier, questionnant l’incitation, voire la contrainte à être présent au travail pour le 1er-mai »
Si Astrid Panosyan-Bouvet a quant à elle avancé la difficulté de faire appliquer l’obligation de chômage en ce 1er-mai, les syndicats, CGT en tête, sont vent debout. Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT, a prononcé une fin de non recevoir, en précisant « Il y a 364 autres jours pour ouvrir. C’est une conquête sociale et nous sommes là pour la préserver ». Bien que le « volontariat » des salariés soit mis en avant par le gouvernement pour justifier son soutien à cette proposition de loi, le libre choix des travailleurs à travailler ce jour-là semble difficile à quantifier, questionnant l’incitation, voire la contrainte à être présent au travail pour le 1er-mai. Cette prise de position s’inscrit aussi dans une remise en question progressive des droits des travailleurs à l’échelle européenne : selon l’Indice mondial des droits de la Confédération syndicale internationale (CSI), les droits des travailleurs en Europe se détériorent plus rapidement que dans toute autre région du monde, avec une baisse significative des droits démocratiques sur le lieu de travail.
Si l’assouplissement de la législation proposé au Sénat peut sembler relever du « bon sens » souvent mis en avant par nos dirigeants, il questionne toutefois la liberté des travailleurs à bénéficier d’un vrai droit au repos en cette fête du travail. La proposition de loi, bien que centrée sur l’activité des boulangeries et des fleuristes, pourrait faire tâche d’huile et s’étendre progressivement à d’autres secteurs d’activités, remettant ainsi en cause l’essence même du 1er mai.
A l’ère de l’instantanéité et de la disponibilité permanente, préservons cette exception et ce temps de respiration du 1er-mai. Incarnation des conquêtes sociales âprement gagnées par les travailleurs depuis le XIXe siècle, la fête du travail nous rappelle la valeur du repos acquis, et celle du travail choisi.