Par Léa Trentalaud, consultante senior chez CHEFCAB
La vague de chaleur qui a déferlé sur la France au cours des derniers jours est venue nous rappeler – brutalement – les effets concrets du changement climatique. Des écoles fermées par centaines pour cause de locaux en surchauffe, à la réorganisation du travail opérée à marche forcée pour limiter les coups de chaud, la canicule a des conséquences directes sur notre santé, et sur le fonctionnement du pays. Et face à l’inéluctable réchauffement, il est temps d’adapter nos modes de travail et notre modèle productif.
Sous la chaleur accablante, certains travailleurs sont en première ligne : ouvriers du BTP, agriculteurs, éboueurs, boulangers… autant de professions indispensables au bon fonctionnement de notre société, contraintes de poursuivre leur activité professionnelle malgré les aléas climatiques.
Au-delà des risques immédiats pour la santé, la chaleur peut aussi créer des effets à plus long terme : selon OXFAM, 26 millions de personnes sont atteintes d’une insuffisance rénale parce qu’elles sont régulièrement exposées aux fortes températures sur leur lieu de travail.
La productivité s’en voit également affectée : selon France Stratégie, la France pourrait perdre 1,5 points de PIB à l’horizon 2055, sous l’effet du réchauffement climatique. De façon plus immédiate, la canicule actuelle pourrait coûter 0,3 points de PIB au pays. Selon d’autres études, chaque journée dépassant les 32 degrés équivaudrait à une journée de grève, en termes d’impact sur la masse salariale.
Dans ce contexte, des mesures immédiates sont requises, et déployées dans l’urgence : mise en place d’horaires décalés, multiplication des pauses et accès renforcé à l’eau, aménagements provisoires des locaux, etc. Mais ces mesures, désormais inscrites dans le code du travail, ne sont pas suffisantes. Nous devons opérer des changements profonds pour adapter le monde du travail au réchauffement qui s’accentue, et pour limiter l’impact du travail sur le changement climatique.
A l’heure de la planification écologique, le temps est venu de planifier la transition du marché du travail.
Pour ce faire, il est urgent d’identifier les compétences qui vont décliner sous l’effet de la transition écologique, et celles qui devront être développées pour accélérer la décarbonation du pays. Sur cette base, les soutiens publics à la formation professionnelle pourraient être prioritairement fléchés vers les métiers soutenant la transition. De la même manière, les aides publiques aux entreprises gagneraient à être conditionnées au respect de critères environnementaux stricts, pour favoriser les plus vertueuses. Enfin, une réorganisation du temps de travail pourrait également contribuer à réduire l’impact carbone lié aux déplacements, en favorisant la flexibilité et le télétravail, ou encore en encourageant le covoiturage intra et inter-entreprises d’une même zone géographique.
Pour réduire concrètement nos émissions de gaz à effets de serre, il convient également de repenser, à moyen terme, nos systèmes productifs.
L’agriculture, les transports et l’industrie représentent les trois secteurs d’activité les plus polluants. Leur transformation est indispensable, et doit être placée au cœur de nos politiques publiques : électrification des flottes, renforcement du fret ferroviaire, soutien à l’agriculture raisonnée, développement de procédés industriels plus propres… autant de chantiers prioritaires pour réduire concrètement l’impact carbone de notre appareil de production. Et malgré les efforts déployés, notamment dans le cadre du plan France 2030, la marche reste encore haute. L’adoption cette semaine de la proposition de loi Duplomb, qui répond à toutes les demandes de l’agro-industrie en favorisant un modèle agricole productiviste, et de facto plus polluant, en est la preuve.
La prophétie de Jacques Chirac – “notre maison brûle, et nous regardons ailleurs” – résonne avec acuité, plus de 20 ans après sa formulation.
La terre continue de brûler : il est temps de la regarder en face, et de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la protéger. La transformation de nos modes de travail en est l’une des clés.