Par Camille Bourgeois, consultante chez CHEFCAB
Ils étaient nombreux à Aix-en-Provence, début juillet, à tenter de conjurer le vertige d’un monde en mutation. À droite comme à gauche, chez les industriels comme chez les syndicalistes, un même constat s’est imposé : l’accumulation des crises – budgétaire, géopolitique, industrielle, climatique – laisse flotter dans l’air un parfum d’impuissance.
« Tandis que les États-Unis innovent et que la Chine investit, l’Europe tergiverse. Et la France, elle, semble tourner à vide. »
C’est dans ce contexte d’incertitude chronique qu’un thème, longtemps relégué aux marges du débat, a surgi comme un point d’ancrage possible. À la faveur de cette édition anniversaire des Rencontres économiques, la transition écologique s’est en effet imposée comme un fil rouge inattendu. Non plus perçue comme une contrainte climatique ou un luxe budgétaire, elle apparaît désormais comme une clé de sortie de crise(s), une opportunité économique à saisir. Une lueur dans un paysage assombri, diront certains. Une révélation tardive, diront d’autres. Reste que, pour la première fois ou presque, l’écologie a cessé d’être la variable d’ajustement. Elle s’est imposée comme un levier stratégique. Un prisme par lequel repenser souveraineté industrielle, compétitivité, emploi. Une bascule sémantique qui dit beaucoup du moment.
« La transition n’est plus seulement “ce qu’il faut faire” au nom du climat ; elle devient “ce qui peut nous faire gagner” sur le terrain de l’économie, de l’emploi et de la souveraineté. »
Encore faut-il se donner les moyens de cette bascule. Et sur ce point, l’exemple américain – omniprésent dans les discussions à Aix – a servi de révélateur autant que de contre-modèle. Le climato-scepticisme de l’administration Trump n’a pas suffi à détricoter l’arsenal budgétaire mis en place par son prédécesseur : 369 milliards de dollars injectés via l’Inflation Reduction Act dès 2022 pour accélérer le virage énergétique. Résultat : plus de 120 000 emplois créés en un an dans ce seul secteur. Une stratégie assumée, lisible, efficace, même si désormais portée par un nationalisme industriel regrettable. Cette dynamique souligne, en creux, ce qui fait encore défaut en France.
« Dans ces secteurs, notre pays ne manque pas d’atouts. Mais encore faut-il qu’ils soient pleinement mobilisés. »
Selon l’Ademe, la transition pourrait générer jusqu’à 900 000 emplois d’ici 2050. Formation des compétences, sécurisation des chaînes de valeur, massification des investissements dans les filières stratégiques : sans pilotage offensif sur ces enjeux clés, ces projections resteront lettre morte.
Et c’est bien là que le bât blesse. Ce pilotage, pourtant indispensable, se fait toujours attendre. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), censée fixer le cap énergétique du pays, est désespérément en suspens depuis plusieurs mois. Ce flou pèse lourd sur les investisseurs, qui hésitent à s’engager ; sur les filières émergentes, qui peinent à se structurer ; sur la confiance collective, qui s’érode à mesure que l’incertitude s’installe.
Pendant ce temps, d’autres signaux d’alerte s’accumulent sur le terrain. À Aix, Jean-Pierre Clamadieu, président d’Engie, dénonçait une Europe engluée dans sa propre complexité réglementaire. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, pointait l’exemple ArcelorMittal : 800 millions d’euros d’aides publiques, des engagements climatiques revus à la baisse, 600 emplois menacés. Un cas d’école devenu symbole. À quoi bon financer la transition si elle n’est ni conditionnée, ni contrôlée ? Peut-on encore parler de stratégie quand l’État subventionne sans exiger, et investit sans orienter ?
« Ces exemples, parmi d’autres, illustrent une même impasse : celle d’une transition à laquelle tout le monde adhère en principe, mais qui peine à s’ancrer dans une stratégie claire. »
Derrière les discours consensuels, les actes peinent à suivre. Ce décalage, largement ressenti à Aix, résume le paradoxe de l’instant : l’écologie est partout, mais elle reste sans boussole. Ce que la transition appelle, ce n’est pas une accélération aveugle. C’est une méthode. Une gouvernance lisible, un État qui fait des choix, qui fixe des conditions à ses aides, qui simplifie au lieu de complexifier. Bref, un pilotage à la hauteur des ambitions affichées. Sans cela, la transition restera un horizon flou, tiraillé entre promesses économiques et retards politiques. Et la France manquera une occasion rare : celle de lier écologie, industrie et emploi dans un projet commun. Il est temps de passer du discours aux actes.