Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB
Adopté en 2008 avec les voix de l’UMP et du centre, mais sans celles de la gauche, le projet de loi sur la « modernisation du marché du travail » a donné naissance au dispositif de rupture conventionnelle. Porté par Xavier Bertrand, ministre du Travail du gouvernement Fillon, le texte avait pour ambition “de rénover le dialogue social” et de “façonner un nouvel équilibre entre la flexibilité et la sécurité”. Plus de 15 ans ont passé, et si ce mécanisme a rapidement trouvé sa place au point de s’imposer dans le quotidien des entreprises, il ne semble plus correspondre en l’état aux plans d’un gouvernement à la quête de la moindre économie budgétaire. Pour la première fois à partir de 2008, une séparation entre salarié et employeur pouvait se faire hors du cadre contraint du licenciement ou de la démission, dans une logique d’accord mutuel et de sécurisation des parcours.
« À la fois outil de régulation des effectifs, alternative apaisée aux contentieux, et levier de transition pour des salariés en reconversion, la rupture conventionnelle à vu son usage fortement progresser au fil des ans : plus de 500 000 ruptures ont été enregistrées en 2024, selon la Dares.»
Mais à mesure que le dispositif s’est démocratisé, ses effets vertueux se sont dilués. Pensée comme “un nouveau type de rupture, exclusif de la démission et du licenciement, qui intervient d’un commun accord entre l’employeur et le salarié sans atteinte aux procédures de licenciements collectifs pour cause économique engagés par l’entreprise”, la rupture conventionnelle est devenue un instrument de gestion courante des ressources humaines. Et comme tout outil utilisé au-delà de son intention initiale, il a vu émerger des dérives : licenciements économiques déguisés, démissions arrangées pour permettre l’ouverture de droits à l’assurance chômage, préretraites non assumées. À l’heure où le gouvernement entend réaliser plus de 43 milliards d’euros d’économies sur le prochain budget, le dispositif est pointé du doigt. Près de 10 milliards d’euros de dépenses ont été engagées par l’Assurance chômage pour financer les ruptures conventionnelles en 2024. Le durcissement des conditions d’accès au dispositif est donc à l’étude, à travers notamment un allongement du délai avant de percevoir le chômage.
Mais cette approche, aussi compréhensible soit-elle d’un point de vue comptable, comporte plusieurs angles morts. D’abord, elle fragilise un équilibre social patiemment construit.
« La rupture conventionnelle a permis, depuis plus de quinze ans, la séparation sans rupture. Le débat qu’ouvre le gouvernement fait courir le risque de réintroduire une forme de tension dans la relation employeur – salarié. »
Or, la France se trouve d’ores et déjà dans une situation de fragilisation croissante du lien salarial : 40 % des salariés ne se reconnaissent plus dans les valeurs de leur entreprise (contre 30 % en 2023), selon le baromètre Teale. En parallèle, la confiance en l’avenir des actifs français poursuit sa baisse (-3,6 % au deuxième semestre 2024), d’après une étude du groupe Actual avec l’EM Normandie.
S’attaquer aux ruptures conventionnelles représente aussi une menace pour les salariés les plus vulnérables, confrontés à des conditions managériales ou d’emploi dégradées. En restreignant l’accès aux ruptures conventionnelles, on risque d’enfermer dans la précarité ceux qui n’ont ni l’assise juridique ni les moyens de négocier autrement leur départ.
De 190 000 ruptures conventionnelles en 2009, 1 an après leur création, à plus de 500 000 aujourd’hui, nul ne peut ignorer l’envolée spectaculaire du mécanisme, profondément ancré dans nos pratiques.
« Réformer ce dispositif devenu trop coûteux semble ainsi inévitable face à la réduction impérative des dépenses publiques. »
Prudence néanmoins : ne sacrifions pas l’esprit de la loi de 2008 et ses avancées en matière d’apaisement social au motif de vouloir lutter contre les dérives. Les ruptures conventionnelles sont un levier pour la mobilité professionnelle, dans un contexte de tensions de recrutement et d’évolution des métiers. Elles doivent être préservées, sans nier les ajustements à réaliser.