Par Corentin Dattin, consultant senior chez Chefcab

Pas une heure ne s’est écoulée ces derniers jours sans un nouveau rebondissement, accompagné de son lot d’analyses et de commentaires. La litanie de déclarations et de réactions sature l’espace médiatique et nous plonge encore un peu plus dans l’immédiateté de l’information. Comme ultime remède à nos maux institutionnels, nombreux sont ceux, élus ou simples citoyens, à plaider pour le “retour aux urnes”, pour “rendre la parole au peuple” par l’organisation de nouvelles élections. Ironie de l’histoire, la situation que traverse notre pays nous rappelle brutalement que nous ne pouvons pas faire sans elle : la Politique.

Ironie, car au cours des dernières décennies, nous avons progressivement détourné le regard de celle-ci, au point de concentrer en elle toute notre méfiance. Les Français font aujourd’hui davantage confiance aux réseaux sociaux – pourtant devenus les caisses de résonance de la colère, de la haine et de la désinformation – qu’aux partis politiques, selon le dernier baromètre du Cevipof. Près de 80% d’entre eux éprouvent même des sentiments négatifs vis-à-vis de la politique, à commencer par de la méfiance et du dégoût. Ironie, car c’est aujourd’hui pourtant de la politique que l’on attend un chemin vers l’apaisement.

« Décevante, inutile, inefficace. Parfois faible ou mensongère. Face au monde économique ou aux enjeux internationaux, la politique n’est plus perçue comme capable de tenir ses promesses, d’insuffler un changement ou de susciter de l’espoir. »

Toujours selon le Cevipof, 57% des Français considèrent que les gouvernements ne peuvent plus faire grand-chose aujourd’hui et que “le pouvoir réel est ailleurs”. Depuis 2010, la succession des mouvements de contestation – Bonnets rouges, Nuit debout, Gilets jaunes, Bloquons tout – illustre ce désenchantement et la recherche de nouvelles formes d’expression. Dans le même temps, la France connaît une forte baisse de la participation aux élections (53,7 % d’abstention aux législatives de 2022, contre 29 % en 1997), des partis politiques en perte de vitesse, qui peinent à disposer d’une base solide de militants actifs, et des syndicats qui convainquent de moins en moins de salariés à se fédérer pour conquérir des droits ou les protéger.

S’il fallait tirer une leçon de la période institutionnelle tumultueuse que la France traverse, c’est que nous ne pouvons plus nous permettre de nous détourner de la politique.

« Alors que le pays attend une issue, sans doute par compromis entre partis ou groupes parlementaires, ce retour du politique en tant que chef d’orchestre de notre quotidien doit sonner comme un rappel : réinvestissons la sphère publique »

Il faut dire que le confort du fait majoritaire instauré progressivement au cours de la Ve République nous a fait oublier que des désaccords peuvent non seulement exister au Parlement, voire au sein même d’un gouvernement, et qu’ils peuvent également être source de blocage d’une partie de notre société. Des pans entiers de l’économie restent suspendus au retour au calme politique : l’immobilier, qui craint un renchérissement du coût du crédit, les projets de recrutements en entreprise, avec un recul important de l’intérim qui se confirme, ou encore le secteur énergétique, qui reporte ses investissements faute de programmation pluriannuelle publié. Sans oublier que pour fonctionner, la France doit se doter d’un budget : qu’en est-il des arbitrages sur la poursuite de MaPrimeRenov’, sur la réforme de l’apprentissage, ou sur les dotations aux collectivités locales ?

« La période que nous vivons peut être vue comme une opportunité de reprendre collectivement la main sur la chose publique. »

À trop laisser les partis et groupes parlementaires à l’assise électorale faible s’organiser entre eux, nous entrons dans un monde où l’action politique est guidée à coups de sondages pour épouser la préférence populaire. Or, notre démocratie telle qu’elle a été construite nous dit une chose : l’opinion publique et l’intérêt général, c’est l’Assemblée nationale.