Par Léa Trentalaud, consultante senior chez Chefcab

Si l’actualité politique mouvementée a finalement eu raison de la grande manifestation patronale planifiée par le MEDEF en octobre, une revendication supplémentaire aurait pû être ajoutée à l’ordre du jour : celle du retour au bureau des salariés. Une grande peur semble en effet s’être immiscée auprès des dirigeants au cours des derniers mois, celle du télétravail.

« Si le télétravail s’est d’abord imposé pendant la pandémie, il a rapidement conquis les entreprises et les salariés. »

Gage de flexibilité et souvent de meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle pour les salariés, utilisé comme un levier d’attractivité RH par les entreprises et les collectivités en peine pour recruter, cette modalité est devenue incontournable. Selon l’INSEE, le télétravail est aujourd’hui pratiqué par 22% des salariés du secteur privé, contre seulement 4% en 2019. 

Face à cette nouvelle réalité, certains salariés ont pris leurs dispositions, en grande majorité avec l’accord de leur employeur, pour se mettre au vert — déménagements, installation en province, nouvelles organisations de vie, etc.

« Or, depuis quelques mois, on observe un étonnant recul des entreprises sur le télétravail. »

Les exemples sont au cœur de l’actualité, en France comme à l’étranger. Dans l’Hexagone, Ubisoft a demandé à ses salariés – dans un contexte économique contraint – de revenir sur site trois jours par semaine en septembre 2024, après avoir autorisé le 100% distanciel. Une décision qui a suscité des tensions internes et des départs volontaires. De la même manière, le groupe pharmaceutique Novo Nordisk a rappelé ses salariés sur site 5 jours par semaine, pour “instaurer une nouvelle culture de la performance”. L’annonce faite en septembre s’inscrit dans un moment difficile pour l’entreprise qui a dû supprimer 9000 postes. Cette annonce, couplée à un contexte financier défavorable pour l’entreprise, a renforcé l’effet sanction de cette suppression du télétravail. Et selon le Financial Times, la tendance pourrait se poursuivre : 83% des dirigeants prévoient un retour sur site à temps plein d’ici 2027.

Que nous dit cette volte-face ? Les arguments souvent avancés par les dirigeants sont connus : renforcer la cohésion des équipes, améliorer la productivité, stimuler la créativité.

« Mais derrière ces justifications, un autre motif, moins avouable, se dessine : la peur de perdre le contrôle. »

L’idée que, si l’on ne voit pas les salariés, on ne sait pas ce qu’ils font réellement. Cette défiance implicite sape la confiance, qui constitue pourtant le ciment de toute organisation performante. Elle peut aussi, paradoxalement, saper la productivité des salariés en bouleversant leur organisation.

Pourtant, ces politiques de retour au bureau pourraient bien se retourner contre les entreprises, en minant leur attractivité et en poussant leurs talents vers la sortie. Selon l’APEC, 7 cadres sur 10 se disent très mécontents à l’idée de perdre leurs jours de télétravail autorisés, et près de la moitié envisageraient de démissionner si leur entreprise les leur retirait.

« Plutôt que d’imposer un retour unilatéral, il serait temps d’ouvrir un dialogue sincère autour des conditions de travail et des attentes mutuelles des employeurs et des salariés. »

Le dialogue au sein de l’entreprise doit permettre d’identifier les attentes et les problématiques des salariés, et de trouver une voie de passage cohérente avec les enjeux de l’entreprise. Si le présentéisme semble être un mal français, l’heure est à la valorisation de la qualité du travail, plutôt qu’au nombre d’heures visibles réalisées par le salarié au bureau. Cette flexibilité doit aussi s’accompagner d’une meilleure formation des managers au management hybride : piloter une équipe et des projets à distance requiert davantage de responsabilisation, et une communication renforcée. 

Le monde du travail est en perpétuelle évolution, et le télétravail fait maintenant partie intégrante du paysage. Les entreprises doivent accompagner ce changement et non le combattre. Gage à elles de placer la confiance au cœur de leurs organisations, pour faire du télétravail un levier de performance partagé.