Par Léa Trentalaud, consultante senior chez CHEFCAB
Alors que l’objectif plein emploi fixé par le Président de la République semble compromis, et que l’emploi des seniors est au cœur de l’actualité, un angle mort demeure : celui de l’insertion dans l’emploi des personnes en situation de handicap.
Dans une note d’analyse publiée en mai, France Stratégie dresse un constat alarmant : 24 % des jeunes porteurs de handicap n’ont jamais accédé à l’emploi, contre seulement 6 % chez les jeunes valides.
Leurs perspectives d’ascension sociale sont durablement compromises : ils ont 1,7 fois moins de chances d’accéder à un poste de cadre ou à une profession intermédiaire, et ce quel que soit leur milieu social d’origine. De la même manière, le handicap multiplie le risque de décrochage par 3,7 pour les jeunes issus de milieux favorisés, contre 2,1 pour ceux issus de milieux défavorisés. Contrairement aux idées reçues, la position sociale ne semble pas influer sur le parcours scolaire des jeunes handicapés, les origines favorisées semblant même moins protéger contre l’échec scolaire.
Cette spirale d’inégalité prend ses racines dès l’enseignement supérieur, puisque les jeunes valides ont 1,8 fois plus de chances d’être diplômés du supérieur que leurs camarades handicapés. Même à diplôme équivalent, les jeunes en situation de handicap occupent moins fréquemment des postes correspondant à leur niveau de qualification. Cela débouche sur une situation “perdant-perdant” : les salariés handicapés sont cantonnés à des postes sous-qualifiés ou ne correspondant pas à leurs diplômes, et les employeurs se privent d’un vivier de compétences qualifié, alors même qu’ils sont confrontés à des pénuries de talents.
Résultat, le handicap demeure le premier motif de réclamation pour discrimination à l’embauche auprès du défenseur des droits.
Pire, face à la crainte de la stigmatisation ou de la relégation, de nombreux salariés ne font pas état de leur handicap au sein de leur entreprise, les empêchant de bénéficier des aménagements essentiels à leur intégration et à leur réussite professionnelle.
Des outils existent pourtant pour favoriser l’emploi des actifs en situation de handicap : depuis 2007, les entreprises de plus de 20 salariés doivent embaucher des personnes handicapées à hauteur de 6% de leur effectif. En cas de non-respect de ces objectifs, une contribution financière doit être versée. Si les sommes versées par les entreprises ont diminué de 30% depuis 2018, près d’un cinquième des entreprises concernées n’atteignent toujours pas ces objectifs. Quant aux emplois accompagnés, qui permettent aux personnes handicapées de bénéficier d’un accompagnement médico-social tout au long de leur parcours professionnel, leur déploiement massif reste entravé par le manque de structures et des inégalités territoriales persistantes.
Pour inverser cette dynamique, plusieurs leviers complémentaires pourraient être actionnés, d’abord en incitant davantage les entreprises à embaucher des personnes en situation de handicap. Cela pourrait passer par une subvention accordée aux entreprises, notamment les plus petites, qui recrutent durablement des salariés handicapés. La simplification des démarches de reconnaissance du handicap est également prioritaire, pour ce faire, le déploiement d’une plateforme nationale permettrait de rétablir une équité territoriale, les délais actuels pouvant varier du simple au double d’un département à l’autre. Enfin, la formation des recruteurs et des managers à la prise en compte du handicap doit également être systématisée, pour briser les tabous et les stigmates persistants.
L’inclusion a beau être au cœur des discours d’intention, sa concrétisation reste imparfaite, notamment dans le monde du travail.
Inclure les personnes en situation de handicap c’est non seulement lutter contre les discriminations, mais aussi changer le regard sur le handicap. Au-delà de l’enjeu central de cohésion sociale, l’emploi des personnes en situation de handicap constitue aussi un levier indispensable pour atteindre le plein emploi.