Par Corentin Dattin, consultant Senior chez CHEFCAB :
« Alors que l’année 2024 est synonyme de montée en charge de France Travail, dans un contexte de reprise du chômage, la question du logement ne peut être décorrélée de l’objectif plein emploi »

Elle occupe l’espace médiatique depuis plusieurs semaines, plus encore ces derniers jours depuis que le Premier ministre l’a élevée au rang de ses priorités. Elle affecte des centaines de milliers de Français, à tel point que la Fondation Abbé Pierre la qualifie de “bombe sociale” qui a explosé. La crise du logement est au cœur des préoccupations des acteurs associatifs qui œuvrent pour assurer un habitat décent au plus grand nombre. Cette semaine, dans son discours de politique générale, Gabriel Attal a formulé plusieurs propositions afin de “créer un choc d’offre”, affichant à son tour sa mobilisation sur le sujet. Alors que l’année 2024 est synonyme de montée en charge de France Travail, dans un contexte de reprise du chômage, la question du logement ne peut être décorrélée de l’objectif plein emploi.

Dans son rapport de préfiguration du nouveau service public de l’emploi, Thibaut Guilluy avait souligné ce lien de cause à effet. Le logement y est d’ailleurs cité près de 60 fois, preuve de la relation intime qui le lie à l’insertion professionnelle, et figure parmi les “premières identifications des freins à l’emploi” exposées dans le rapport. Pour le nouveau directeur général de France Travail, “l’insertion dans le logement et dans l’emploi doivent devenir un objectif dont l’atteinte ne relève pas que de la personne sans emploi ni logement mais de l’ensemble des acteurs ayant la responsabilité des accompagnements”.

« 31% des moins de 35 ans ont dû retarder leur passage à une vie autonome en raison de difficultés à trouver un logement »

Les liens entre accès au logement et insertion professionnelle sont nombreux, l’un pouvant déterminer l’autre. Posséder un logement, qui plus est dans un bassin économique dynamique, accroît significativement les chances de trouver un emploi, tout comme posséder un emploi accroît significativement les chances d’accéder à un logement. La difficulté à se loger est une variable importante qui influence, voire détermine, le comportement des personnes en recherche d’emploi. La pénurie de logement dans la plupart des grandes métropoles, l’augmentation des loyers ou encore les dossiers toujours plus épais à fournir pour louer un simple studio peuvent conduire les jeunes, notamment, à changer d’horizon professionnel. Il ressort ainsi d’une enquête OpinionWay de juillet dernier que 31% des moins de 35 ans ont dû retarder leur passage à une vie autonome en raison de difficultés à trouver un logement. Les conséquences de la crise du logement sur l’emploi des jeunes sont significatives, puisque 26% affirment avoir été obligés de retarder leurs projets de reconversion professionnelle et 14% indiquent avoir refusé un emploi face à la difficulté d’accéder au logement.

D’autre part, alors que les pénuries de compétences sont légion, le coût du logement est de nature à creuser encore un peu plus les tensions de recrutement dans certaines zones. L’éloignement géographique entre le domicile et le lieu de travail, dû à un marché locatif hors de portée financière, peut effectivement contraindre les demandeurs d’emploi à se détourner de territoires offrant pourtant des opportunités d’emploi intéressantes. Une situation qui touche non seulement les zones urbaines, mais également les territoires soumis à une forte pression touristique, telles que les stations balnéaires. L’accès au logement des travailleurs saisonniers est effectivement une réelle problématique pour les communes qui vivent de la saison touristique, et l’impact sur leur attractivité n’est pas anodin. Le plan “pour l’emploi des travailleurs saisonniers” présenté en juin dernier par le gouvernement faisait de cette question un axe majeur, afin “d’encourager l’offre de logement saisonnier”. L’hôtellerie-restauration, déjà en proie à des tensions de recrutement importantes, est l’un des secteurs qui souffre le plus du manque de travailleurs saisonniers.

« Alors que la France produisait 125 000 logements sociaux en 2016, ce chiffre chute à 95 000 (-25%) en 2023 »

L’une des solutions face aux difficultés d’accès au logement existe pourtant depuis le début du XXème siècle : le logement social. Intimement liées à l’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des personnes les moins favorisées, les Habitations à loyer modéré (Hlm) connaissent pourtant une production en baisse depuis plusieurs années. Alors que la France produisait 125 000 logements sociaux en 2016, ce chiffre chute à 95 000 (-25%) en 2023. Dans le même temps, les loyers dans les grandes villes n’ont cessé d’augmenter, les pénuries de main-d’œuvre ont progressé dans la plupart des secteurs et l’exode urbain tend à devenir une réalité.

Pour atteindre le plein emploi d’ici 2027, le Président de la République promeut un changement de méthode, preuve en est avec l’arrivée de France Travail. Pour y parvenir dans les faits, plusieurs chantiers doivent être entrepris. D’abord, il semble urgent de créer plus de passerelles entre les acteurs publics de l’emploi et le monde du logement. Une plus grande coopération peut permettre d’intégrer davantage la question du logement dans les réflexions sur le retour à l’emploi des personnes, là où le débat politique nous amène trop souvent à regarder du côté de la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi. D’autre part, les communes de toute taille, qui jouent un rôle majeur dans la politique du logement, ont vocation à favoriser les coopérations avec les recruteurs afin de faire émerger localement, en fonction des particularités de chaque bassin d’emploi, des solutions pragmatiques pour faciliter l’accès au logement de celles et ceux désireux de trouver un emploi. La nomination, ou non, d’un ministre dédié au logement dans les prochains jours donnera un premier aperçu de la priorisation de ce sujet pour le gouvernement.