Par Nicolas Citti, consultant chez CHEFCAB
Le mot a fait réagir, tant les députés dans l’Hémicycle, que les journalistes en quête de titres accrocheurs.
Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre François Bayrou a annoncé la formation prochaine d’un « conclave » pour remettre la réforme des retraites au cœur du débat public. Un choix de vocabulaire qui étonne, voire détonne, surtout dans un cadre éminemment républicain et laïc.
« (…) dans l’imaginaire collectif, et dans son usage courant, « conclave » renvoie immédiatement à l’univers religieux. »
Parmi les députés, des réactions qui ne se sont guère faites attendre : perplexité à gauche – la rumeur rapporte à ce titre plusieurs invocations d’Aristide Briand – et sourire complice de la droite catholique. Car oui, dans l’imaginaire collectif, et dans son usage courant, « conclave » renvoie immédiatement à l’univers religieux, et plus précisément, à celui des élections papales, tenues secrètement sous l’imposante fresque de la chapelle Sixtine.
Le mot est-il pertinent pour aborder une question aussi pratique et concrète que celle des retraites ?
« (…) il est probable que les négociations annoncées semblent vouées à rester – pour l’heure – dans une sphère confinée, loin des regards citoyens. »
A n’en point douter, notre Premier Ministre souhaite mettre en exergue l’enjeu crucial de cette réforme. Mais n’oublions pas que le terme renvoie également à une certaine opacité de la discussion, à l’heure où les exigences de transparence sont reines. A l’image du Vatican confinant ses discussions, il est probable que les négociations annoncées semblent vouées à rester – pour l’heure – dans une sphère confinée, loin des regards citoyens.
« Sur le papier, l’enjeu apparaît relativement aisé : rendre la réforme « plus juste » tout en maintenant l’équilibre financier du système. »
Concrètement, selon le nouveau Premier Ministre, ce conclave doit permettre de réunir l’ensemble des partenaires sociaux — syndicats et organisations patronales — autour d’une table pour trois mois de négociations, placé sous le patronage d’un “spécialiste du sujet, neutre et non politique, qui animera les débats”, selon les mots de Catherine Vautrin. Sur le papier, l’enjeu apparaît relativement aisé : rendre la réforme « plus juste » tout en maintenant l’équilibre financier du système. Mais les postures politiques peuvent parfois complexifier les débats. C’est à ce titre qu’une mission flash a été également annoncée en parallèle, et qui sera confiée à la Cour des comptes pour établir un diagnostic commun. Il s’agira de poser les premiers jalons, et un cadre rationnel, avant une discussion qui s’annonce musclée.
Néanmoins, cette démarche suscite d’ores et déjà des critiques. Du côté des syndicats, on s’interroge sur la sincérité du processus. « Les dés sont pipés », accuse FO, tandis que la CGT dénonce un patronat en « position de force ». Si certains acteurs réformistes, comme la CFDT ou la CFTC, espèrent encore des avancées sur des sujets majeurs – à l’instar de la pénibilité de certains métiers – les lignes rouges semblent opaques, et les tensions, bien présentes.
« (…) la démarche et le choix des mots ne font pas l’unanimité. »
Avec cette initiative, le Premier ministre affiche une volonté de consensus, de dialogue et de co-construction, mais la démarche et le choix des mots ne font pas l’unanimité. L’épilogue dira si Paris a su emprunter les pratiques de Rome, ou si ce conclave restera dans les annales comme un exercice d’échec prévisible.
Si nous étions malicieux, il s’agirait de dire que les partenaires sociaux sont les nouveaux cardinaux du progrès, appelés à leur devoir pour trancher l’épineuse question des retraites. Autrefois à Avignon, le prochain conclave revient en France, pour se tenir dans les prochaines heures rue de Grenelle, avec pour fond, non pas le Palais des Papes, mais les ors républicains de l’Hôtel du Châtelet.
A l’ordre du jour, des problématiques bien terrestres.
Attendons patiemment la fumée blanche.