Par Nicolas Citti, consultant chez CHEFCAB

Il arrive parfois que la célébration d’un anniversaire entraîne la société tout entière, au rythme des hommages de nos dirigeants politiques et de bons mots qui virevoltent sur les plateaux de télévisions, dans un sentiment à la fois empreint de nostalgie et de respect, nous obligeant ainsi à un temps d’arrêt sur le tumulte de la vie politique quotidienne, et à une prise de hauteur sur nos actions respectives.

« Les louanges fleurissent en continu depuis plusieurs heures (…). Louant tantôt l’homme, fervent défenseur de sa Corrèze natale, tantôt le politicien, pourfendeur du chômage, ou plus particulièrement le visionnaire, bâtisseur de la France industrielle »

Georges Pompidou, deuxième chef de l’État sous la Ve République, s’est éteint il y a maintenant cinquante ans. Les louanges fleurissent en continu depuis plusieurs heures, et tout un chacun aura eu l’occasion d’évoquer une des caractéristiques de son œuvre ; Louant tantôt l’homme, fervent défenseur de sa Corrèze natale, tantôt le politicien, pourfendeur du chômage, ou plus particulièrement le visionnaire, bâtisseur de la France industrielle, on aura aperçu ainsi le petit monde politico-médiatique en ébullition, tous bords politique confondus, mettre en lumière un sujet, une idée, une leçon ou une devise venant du grand homme.

« Tout est différent, certes, mais une problématique déjà évoquée dans les Trentes Glorieuses demeure à ce jour fondamentale, bien qu’étant encore inachevée : la participation. »

Aussi, il serait vain de s’inspirer des politiques publiques d’antan pour les appliquer – souvent par paresse intellectuelle – à notre temps, dans la mesure où la France de 1969 est bien différente de celle d’aujourd’hui ; Contexte économique différent, multiples crises de confiance dans la parole issue du politique, perte de sens dans un travail majoritairement tertiaire qui se matérialise par une forte hausse de pénuries multisectorielles. Tout est différent, certes, mais une problématique déjà évoquée dans les Trentes Glorieuses demeure à ce jour fondamentale, bien qu’étant encore inachevée : la participation. Cette idée, dont découlent les dispositifs d’intéressement et d’actionnariat salarié, était au cœur des préoccupations du gaullisme social, et parmi les grandes ambitions des gouvernements successifs dès 1958 afin d’unifier définitivement le tissu social.

« La participation est une troisième voie ; une voie étroite entre l’incontrôlable liberté du capitalisme, et le cadre rigide du communisme. »

La participation est une troisième voie ; une voie étroite entre l’incontrôlable liberté du capitalisme, et le cadre rigide du communisme. Le principe fondamental qui émerge de cette notion est de réconcilier le travail produit par la main-d’œuvre salariale, avec le capital généré par les profits de l’entreprise. L’objectif ? Consolider d’une part l’attachement du salarié à son activité professionnelle, et d’autre part – objectif plus ambitieux – de contenir les tempêtes sociales qui émaillent notre histoire. La participation, condition sine qua non du progrès social, mérite de revenir au-devant de la scène et d’être au cœur des préoccupations politiques en ce qu’elle constitue un atout considérable pour remobiliser – en France et à l’échelle de l’Union européenne – l’ensemble des acteurs économiques qui font un pays.

Plus concrètement, et à titre d’exemple, nous constatons aujourd’hui un net recul de l’actionnariat salarié pour la deuxième année consécutive, sur l’ensemble du continent européen. En effet, à l’occasion de sa récente étude, publiée annuellement, la Fédération européenne de l’actionnariat salarié (FEAS) recense une diminution de salariés engagés dans l’actionnariat de leur entreprise.

« Alors qu’ils étaient 7,19 millions en 2011 à détenir des actions, seulement 6,85 millions de salariés sont aujourd’hui actionnaires salariés dans les grandes entreprises européennes (…) »

Alors qu’ils étaient 7,19 millions en 2011 à détenir des actions, seulement 6,85 millions de salariés sont aujourd’hui actionnaires salariés dans les grandes entreprises européennes, bien que le nombre de salariés ait fortement progressé sur le continent. En termes de sommes détenues, les salariés possèdent 4,25 % du capital des entreprises cotées, encore loin de l’objectif de 10 % souhaité par le gouvernement d’ici à 2030 dans le cadre de la loi PACTE votée en 2019.

Cette diminution de la participation salariale, inexorable et continue au fil des ans, s’explique par des mécanismes d’intéressement et de participations qui demeurent nationales, alors que la part des salariés qui travaille à l’internationale croît considérablement. Seulement un tiers des salariés travaille aujourd’hui dans une grande entreprise européenne – contre la moitié il y a seize ans – et ne bénéficie donc plus des politiques incitatives prévues à cet effet. La Fédération évoque à ce titre que les efforts législatifs dans plusieurs pays relatifs au partage de la valeur n’ont eu “aucun impact significatif sur l’actionnariat salarié dans les grandes entreprises”.

« Lors d’un entretien en octobre dernier dans l’Express, Jean-Philippe Debas, président d’Equalis Capital proposait de revenir à la semaine de quarante heures, payées trente-cinq, avec une différence rémunérée en actions de l’entreprise. »

Afin d’augmenter la participation, et de répondre aux objectifs audacieux fixés par le gouvernement, les propositions sont multiples. Lors d’un entretien en octobre dernier dans l’Express, Jean-Philippe Debas, président d’Equalis Capital proposait de revenir à la semaine de quarante heures, payées trente-cinq, avec une différence rémunérée en actions de l’entreprise. Le salarié bénéficierait dès lors d’un rendement intéressant, ajoutant à cela des dividendes réguliers.

Par conséquent, sujet à de multiples débats, issue d’un héritage politique et d’une tradition sociale, cette grande idée de participation peine à se développer en France, voire régresse depuis plusieurs années à cause d’une mauvaise adaptation du cadre législatif aux changements des modalités de travail – émergence du Freelancing et de l’auto-entrepreneuriat – et de la mobilité géographique.

« L’enjeu est de rendre plus démocratique l’accès au capital, récompense d’un travail assidu, de réconcilier le collaborateur avec le profit issu de l’activité économique, et de façon plus générale, de reconstruire un corps social affaibli (…) »

Ainsi, nous devons collectivement nous saisir de cette problématique, encore trop souvent reléguée à l’arrière-plan, et souvent méconnue de la majeure partie des salariés. L’enjeu est de rendre plus démocratique l’accès au capital, récompense d’un travail assidu, de réconcilier le collaborateur avec le profit issu de l’activité économique, et de façon plus générale, de reconstruire un corps social affaibli, afin que nous puissions non seulement retrouver l’épanouissement par le travail, bénéficier des fruits qui en découlent, mais surtout regarder sereinement vers l’avenir.