Par Nicolas Citti, consultant chez CHEFCAB :
« Devrait-on collectivement réfléchir à la création d’un Ministère des grandes transformations ? »

A l’heure où les nouvelles équipes gouvernementales se dessinent, et que les grandes orientations pour la suite du quinquennat se préparent dans les couloirs feutrés des ministères, devrait-on collectivement réfléchir à la création d’un Ministère des grandes transformations ?

Une telle démarche pourrait contribuer à dépasser cette logique du temps court, de la réaction permanente qui caractérise aujourd’hui nos politiques publiques. Cela permettrait également à nos responsables politiques de mieux esquisser un avenir collectif, entraînant nécessairement la mise en place de dispositifs législatifs plus ambitieux et efficaces. Un exemple d’actualité : il ne s’agirait pas d’allouer des millions d’euros de fonds publics en réponse aux désarrois des agriculteurs, mais bien de repenser notre souveraineté alimentaire et de remettre le travail agricole au cœur de nos préoccupations contemporaines.

Autrefois existait le Plan, symbole de la planification économique des Trentes Glorieuses, qui avait pour ambition d’anticiper concrètement les multiples améliorations conjoncturelles – économique, démographique, industrielle -, et de maintenir une certaine exigence de notre capacité à innover et à produire. Tout cela cumulée avec une vision du long terme. Même si un Haut-Commissariat a été confié à François Bayrou, comment préparons-nous aujourd’hui les nouvelles mutations ? Celles-ci risquent, rappelons-le, d’impacter en profondeur nos modes de vie, au premier rang desquels se situe la place du travail et les questions sous-jacentes qui en découlent : quantité d’emplois disponible, qualité de ces emplois ou encore pertinence et utilité de certains « jobs » déjà existants.

« L’enjeu n’est pas de créer la France du prochain quinquennat, ni de projeter une stratégie sur 10-15 ans, mais bien de réfléchir à l’Europe de la moitié du XXIe siècle »

Aussi, l’enjeu n’est pas de créer la France du prochain quinquennat, ni de projeter une stratégie sur 10-15 ans, mais bien de réfléchir à l’Europe de la moitié du XXIe siècle, et de créer les conditions propices à une société saine, où il est donné à chacun l’opportunité de donner un sens à ces actions, tout en considérant que l’innovation technologique va altérer considérablement le rapport que l’humain entretient avec le travail, qu’il soit physique ou intellectuel.

Dans l’hypothèse quasiment certaine d’une généralisation de l’intelligence artificielle, qu’elle soit utilisée pour créer du contenu artistique, accompagner la production écrite ou fluidifier les recherches d’informations, nous assisterions à un phénomène nouveau, la destruction massive d’emplois – notamment dans les métiers “support” du tertiaire – sans nouvelles créations d’emplois de substitution. A ce titre, Anais Voy-Gillis chercheuse associée à l’IAE de Poitiers, l’explique concrètement : “En matière industrielle, nous avons déjà un aperçu des conséquences sur l’emploi avec l’exemple de la transition du véhicule thermique vers le véhicule électrique, qui induit la destruction de nombreux emplois dans toute la chaîne de valeur : l’exemple des fonderies nous en a donné un avant-goût”.

Dès lors, quelles solutions pour mieux anticiper les défis du temps ?

« Sortir de cette logique du temps court »

Avant toute chose, il conviendra de sortir de cette logique du temps court, ce qui nous permettra, non seulement de prendre de la hauteur sur la place de la France, de l’Europe dans l’échiquier mondial, mais également d’entrevoir un horizon plus précis pour chaque politique publique. Par ailleurs, planifier l’action doit être au cœur de nos préoccupations, car retrouver le sens d’objectifs sur le temps long nous permettra d’affiner un calendrier, qui saurait répondre concrètement à nos interrogations communes. Enfin, en matière de gouvernance, un seul Ministère ne saurait suffire ; de véritables organes représentatifs nationaux et locaux, consacrés à penser le temps long, permettraient aux chantiers envisagés dès aujourd’hui de perdurer malgré les changements de majorités politiques.

En définitive, l’enjeu est de taille. Insuffler une vision concrète de l’avenir est la condition sine qua non d’une anticipation des grands bouleversements – techniques, sociaux, économiques – qui nous attendent, et nous obligent.