Par Camille Bourgeois, consultante chez CHEFCAB :
« Le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) estime que 56% des ETI ont mis en place une formation en leur sein, quand plus de 7% envisagent d’y recourir »

Depuis quelques années, les “Academy”, ou pour les plus francophiles les “Formations maison”, se développent en France à un rythme accru. Le principe ? Former ses salariés en interne pour répondre à un besoin urgent de main d’œuvre ou de montée en compétence. Ce processus a été largement encouragé par l’entrée en vigueur de la loi Avenir professionnel de 2018, qui a assoupli les conditions de création des centres de formation des apprentis (CFA) et a diminué leur coût pour les entreprises. Pari réussi, puisqu’au-delà des entreprises du CAC40 chez qui la pratique était monnaie courante depuis déjà une dizaine d’années, de plus en plus d’ETI et de PME se lancent dans la création de leur école interne. Le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) estime que 56% des ETI ont mis en place une formation en leur sein, quand plus de 7% envisagent d’y recourir.

« Selon les statistiques du ministère du Travail, plus de 350 000 emplois étaient vacants au deuxième trimestre 2023″

Au-delà des avantages fiscaux offerts par la loi Avenir Professionnel, l’essor de ces formations maison s’explique par la hausse des besoins de recrutement des entreprises. Selon les statistiques du ministère du Travail, plus de 350 000 emplois étaient vacants au deuxième trimestre 2023. En effet, la crise sanitaire a renforcé une dynamique de mutation des métiers et des compétences déjà entamée, en accélérant la digitalisation, le travail hybride, ou encore le recours aux nouvelles technologies. De fait, les salariés eux-mêmes sont 92% à estimer que leur poste connaît des évolutions significatives. En parallèle, de nombreux “métiers d’avenir” voient le jour en raison de la transition numérique et écologique à l’œuvre, processus qui devrait s’intensifier dans les années à venir. Le Plan France 2030 fait par exemple état de 150 000 recrutements supplémentaires dans la filière hydrogène d’ici la fin de la décennie, de plus de 30 000 recrutements dans la filière éolienne, ou encore de 12 000 recrutements dans le domaine du photovoltaïque. Une étude de Dell et de l’Institut pour le futur publiée par Pôle emploi estime quant à elle que 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore.

« Une étude de Dell et de l’Institut pour le futur publiée par Pôle emploi estime quant à elle que 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore »

Or, une majorité d’entreprises et de secteurs constatent un décalage entre les formations académiques disponibles à l’heure actuelle et leurs besoins immédiats, les poussant à prendre à leur compte la formation du personnel. En effet, les entreprises voient dans ces formations maison un moyen de former à des expertises innovantes ou de plus en plus pointues afin de pallier certaines carences du système de formation.

La mise en place de politiques de formation en interne présente plusieurs avantages pour les entreprises. S’adressant aux jeunes talents, les Academy d’entreprises permettent de former les futurs salariés de l’entreprise aux compétences précises attendues. Cette mission est généralement confiée aux salariés de l’entreprise, qui sont souvent les mieux placés pour transmettre les savoirs attendus dans l’entreprise, imaginer des scénarios crédibles et diffuser la culture d’entreprise. En ce sens, elles permettent une meilleure transmission des valeurs de la société et encouragent la fidélisation du personnel formé. Un argument de taille à l’heure où le marché du travail est extrêmement dynamique, pour ne pas dire volatile. Mais cette formule s’adresse également aux salariés déjà en poste dans l’entreprise, en valorisant cette fois-ci la montée en compétences en interne. Créée fin 2021, la Lidl Academy a par exemple permis de former environ 1000 salariés en 2022, leur permettant d’évoluer vers des postes comportant davantage de responsabilités.

Entre la réponse adaptée à des besoins nombreux et immédiats et la capacité à encourager la progression des carrières, on comprend facilement l’engouement des entreprises pour cette solution. Une interrogation subsiste cependant : Est-ce réellement le rôle des entreprises de mettre en place des politiques pour accompagner les évolutions des métiers et les transitions professionnelles ?

« Le développement des Academy n’est autre que la résultante des limites des politiques publiques en matière de formation »

En effet, le développement des Academy n’est autre que la résultante des limites des politiques publiques en matière de formation. Finalement, les entreprises sont incitées à prendre à leur charge la formation de leurs employés ou la formation des futurs talents qui participeront au développement de l’entreprise, faute de formations initiales adaptées aux évolutions du marché du travail. Or, malgré les avantages fiscaux de la loi Avenir professionnel, la formation “dans les murs” représente un coût financier important. Il s’agit pour les entreprises d’avoir des locaux à disposition, du matériel, et dans certains cas des ateliers techniques permettant de mettre en pratique les apprentissages. Toutes les entreprises ne sont pas armées pour faire face à ces investissements. En d’autres termes, laisser le soin aux entreprises de former leurs salariés met au jour des inégalités entre les grandes entreprises, qui disposent des moyens nécessaires pour faire face aux évolutions du marché du travail et les autres. Les Opérateurs de compétence, en charge du financement de la formation des entreprises de moins de 50 salariés, ont en cela un rôle clé à jouer pour les aider à mener la bataille des compétences.