Par Camille Bourgeois, consultante chez CHEFCAB
Lundi dernier, notre nouvelle ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au numérique Clara Chappaz a profité d’un déplacement à Marseille pour rappeler les grands défis qui l’attendent dans ce secteur stratégique. Un programme ambitieux, reposant sur la volonté du gouvernement de faire rayonner les savoir-faire français en matière d’IA, de cybersécurité et de souveraineté technologique aux yeux du monde entier. Au milieu de ces objectifs de grande ampleur, un défi plus discret et pourtant tout aussi crucial a été rappelé : la lutte contre l’illectronisme et la fracture numérique qui continue de laisser des millions de français sur le bord de la route digitale. Le décalage est frappant. D’un côté, la recherche numérique française, de pointe et reconnue mondialement. De l’autre, les difficultés persistantes d’une grande partie de la population à maîtriser et même à accéder aux outils numériques de base.
« Dès février 2020 la Commission européenne soulignait que plus de 90% des emplois exigeaient au moins des compétences numériques de base. »
La lutte contre l’illectronisme, ou “illettrisme numérique”, est pourtant un véritable facteur de dynamisme pour l’économie et le marché du travail français. En plus d’améliorer la compétitivité de nos entreprises, elle constitue une réponse à l’objectif de plein emploi érigé en Graal par les gouvernements successifs. Dès février 2020 la Commission européenne soulignait que plus de 90% des emplois exigeaient au moins des compétences numériques de base. Or, ce serait 39 % des actifs en France qui manquent de ces compétences, un chiffre deux fois plus élevé qu’au Danemark ou aux Pays-Bas.
« Ignorer cette situation, c’est risquer d’aggraver les disparités et de priver à long terme une partie de la population d’un retour à l’emploi et d’une inclusion dans la société.»
Au-delà des questions d’efficacité dans les missions réalisées, les salariés qui ne disposent pas des compétences digitales nécessaires à l’exercice de leur activité sont souvent stressés, mis à l’écart, et se trouvent limités dans leurs capacités d’évolution professionnelle. Last but not least, l’illectronisme complique encore davantage un retour vers le marché du travail, où de plus en plus d’offres et démarches sont accessibles uniquement en ligne. Une problématique d’autant plus préoccupante qu’elle touche en priorité les populations les plus défavorisées et les plus éloignées de l’emploi, comme les seniors actifs, les individus à faibles revenus ne disposant pas du matériel informatique adéquat, ou encore les personnes résidant en zones rurales. Ignorer cette situation, c’est risquer d’aggraver les disparités et de priver à long terme une partie de la population d’un retour à l’emploi et d’une inclusion dans la société.
Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans la lutte contre l’illectronisme, en intégrant le numérique dès le jeune âge dans les programmes scolaires et les méthodes utilisées. Il est aussi du devoir de l’État de garantir les dispositifs technologiques nécessaires pour accéder à Internet dans les zones sous-desservies, afin de permettre à tous les foyers une couverture 4G et haut débit. Surtout, ce sont aux entreprises de se saisir de cette problématique en s’assurant de l’employabilité de leurs salariés face à la dématérialisation croissante des services. Le tissu économique dispose en effet d’un rôle central pour combler ce fossé numérique, en offrant des formations continues adaptées aux besoins de leurs employés et en accompagnant leur montée en compétences sur les sujets numériques. Des ateliers pratiques, des programmes de mentorat, ou le partage de bonnes pratiques en interne peuvent permettre de faciliter cette inclusion.
« La fracture numérique, si elle persiste, risque de créer une société à deux vitesses, où certains se voient offrir des opportunités de carrière et d’ascension sociale, tandis que d’autres resteraient enfermés dans une précarité à la fois numérique et professionnelle.»
Pour que la France puisse véritablement bénéficier de ses ambitions numériques, une bataille sur deux fronts reste à mener. D’une part, continuer à investir dans la promotion de nos talents dans des domaines d’excellence comme l’intelligence artificielle et la cybersécurité. D’autre part, rendre ce progrès accessible à toutes et tous. La fracture numérique, si elle persiste, risque de créer une société à deux vitesses, où certains se voient offrir des opportunités de carrière et d’ascension sociale, tandis que d’autres resteraient enfermés dans une précarité à la fois numérique et professionnelle. Ce n’est qu’à cette condition que la transformation digitale des entreprises et de l’économie deviendra inclusive, efficace et durable.