Par Nicolas Citti, consultant chez CHEFCAB
L’essor de l’intelligence artificielle sature le débat public depuis plusieurs semaines : l’entrée de Microsoft au capital de la licorne française Mistral IA, menaçant la souveraineté numérique européenne ; l’abandon définitif d’une voiture autonome par Apple, afin de recentrer les efforts des ingénieurs sur la conception d’une stratégie d’IA générative, ou encore les multiples polémiques autour des images générées par l’intelligence artificielle de Google, Gémini IA.
« Souvent perçu comme un outil de destruction créatrice, l’intelligence artificielle concurrence directement l’humain, quitte à le remplacer dans ces tâches quotidiennes et professionnelles »
Ces différents exemples illustrent que les débats, controverses et discussions autour de l’Intelligence artificielle générative, passionnent autant qu’elles interrogent. Souvent perçu comme un outil de destruction créatrice, l’intelligence artificielle concurrence directement l’humain, quitte à le remplacer dans ces tâches quotidiennes et professionnelles. Fidèle à la conception de Joseph Schumpeter, qui estimait que “le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le nuire”, l’intelligence artificielle se positionne dès à présent à côté des capacités humaines, physiques et cognitives, qui leur fait concurrence, éventuellement jusqu’à nous nuire, notamment dans la chaîne de valeur au sein de l’entreprise.
Au sein du monde du travail, cette concurrence directe s’exercera à deux niveaux. D’une part, les métiers physiques, parfois peu qualifiés, seront voués à être effectués par des bras mécaniques, dans l’hypothèse d’une accélération du développement des machines humanoïdes en entreprise. Le robot Optimus conçu par Tesla, ou encore le robot Digit, sont d’ores et déjà opérationnels dans les entrepôts de logistique tels que Amazon, pouvant effectuer une panoplie de tâche, aujourd’hui réalisée par les salariés.
« la technologie va créer de nouveaux problèmes pour lesquels on tentera de créer une nouvelle technologie »
D’autre part, les métiers cognitifs – souvent qualifiés – seront eux aussi menacés, et au premier rang, les fonctions supports. Le développement d’outils d’aide à la rédaction, la formulation, à la traduction à l’instar d’Open IA va révolutionner la conception et la mise en œuvre des tâches quotidiennes. Depuis 2022, l’accélération fut rapide, et il est tout à fait pertinent d’affirmer, sans glisser dans un récit de fiction, que l’intelligence artificielle cohabite dès à présent avec le salarié, et va durablement modifier les pratiques de bureau. Toutefois, cette dynamique induit, selon Yann Ferguson, un cercle vicieux. Chercheur à l’INRIA, il estime en effet que “la technologie va créer de nouveaux problèmes pour lesquels on tentera de créer une nouvelle technologie”.
Dès lors, il s’avère nécessaire aujourd’hui de redéfinir collectivement nos systèmes d’apprentissages et managériaux, afin d’intégrer pleinement ces nouveaux paramètres dans la façon dont la société appréhende la formation et l’insertion dans le monde du travail. L’expérience ne sera plus la condition première des embauches, dans la mesure où le management s’appuiera nécessairement sur l’intelligence générative pour optimiser les coûts, le rendement et les performances de l’entreprise. La ligne managériale, auparavant hiérarchique, fera nécessairement sa mue vers plus d’horizontalité.
Toutefois, si nous sommes encore loin d’un remplacement complet des cerveaux et bras humains, il est essentiel d’anticiper dès à présent cette dynamique afin de maintenir une forme de cohésion sociale, de limiter au mieux toutes les conséquences d’une possible remontée du chômage, et surtout, de répondre concrètement aux aspirations des citoyens – et travailleurs – afin de fournir à tous non seulement un sens à leurs actions, mais également un sentiment d’utilité.
Une seule interrogation doit ainsi nous mobiliser : Comment concilier les forces humaines aux immenses opportunités que peut nous offrir l’IA ?