Par Léa Trentalaud, consultante sénior chez CHEFCAB
«A l’heure de la transition écologique, l’agriculture doit également s’adapter et se transformer pour préserver l’environnement et produire des denrées toujours plus qualitatives»

Dans un mouvement d’ampleur, les agriculteurs ont manifesté leur colère au cours des dernières semaines. Si la hausse des taxes sur le gazole non routier envisagée par le gouvernement a mis le feu aux poudre, le mal-être de la profession est profond, et la difficulté à vivre de son travail constitue le catalyseur des griefs. Une batterie de mesures d’urgence a été annoncée par le Premier ministre pour tenter d’éteindre l’incendie. Néanmoins, cette énième crise dans le domaine agricole pose la question de l’avenir de ces métiers, essentiels pour assurer un système alimentaire pérenne, et de leur attractivité. A l’heure de la transition écologique, l’agriculture doit également s’adapter et se transformer pour préserver l’environnement et produire des denrées toujours plus qualitatives. Dès lors, comment attirer et former les futures générations d’agriculteurs et d’agricultrices ?

En 2022, l’agriculture était le secteur qui recrutait le plus en France, avec 257 000 projets d’embauche, bien plus que dans d’autres secteurs dits en tension, à l’instar de la restauration ou de l’aide à domicile. En parallèle, 100 000 fermes ont disparu en 10 ans, entre 2010 et 2020, faute de repreneur, détruisant 40 000 emplois agricoles. Au-delà de la multiplication des contraintes administratives et de la concurrence étrangère dénoncée par les manifestants, la rémunération souvent faible – bien que variable en fonction du statut et du type d’agriculture pratiqué – contribue aussi à cette crise des vocations. Ainsi, en 2019, 26% des agriculteurs vivaient sous le seuil de pauvreté.

Face à ce constat, le gouvernement avait annoncé dès 2022 un “pacte pour le renouvellement des générations agricoles”, devant permettre de renforcer l’attractivité de la filière, et d’attirer plus de jeunes vers les métiers de l’agriculture. Issu d’une concertation auprès des élèves des lycées agricoles et du grand public, le pacte comprenait une vingtaine de mesures, devant notamment permettre de faire émerger une nouvelle génération d’agriculteurs. Il était également prévu d’inscrire automatiquement les métiers agricoles dans la liste des métiers en tension, pour “faire de l’accès aux métiers du vivant un des leviers du plein emploi”. Sur le volet formation, le plan prévoyait notamment de créer un nouveau diplôme de bac + 3 sous forme de “bachelor agro”, et d’instaurer un réseau France services agriculture. A l’image de France Travail, ce réseau devait prendre la forme d’un guichet unique pour les agriculteurs souhaitant s’installer, sous l’égide des chambres d’agriculture. Selon la Première ministre de l’époque Elisabeth Borne, ce plan visait aussi à “accélérer considérablement la transition écologique”. Présenté en décembre 2023, et devant faire l’objet d’un futur projet de loi, le pacte a pourtant été reporté à la faveur de la crise des dernières semaines. Pourtant, face à la colère des agriculteurs, et à l’heure où l’objectif de plein emploi guide l’action du gouvernement, l’exécutif aurait gagné à ouvrir une réflexion d’ampleur sur l’attractivité de la filière, et sur la nécessaire transformation des formations agricoles à l’aune de la protection de l’environnement.

« En 2022, les dommages causés sur l’agriculture par le réchauffement climatique ont représenté près de 4 millions d’euros de perte. »

Le 25 janvier dernier, en plein cœur de la crise, le Haut Conseil pour le Climat publiait ainsi un rapport pour accélérer la transition climatique dans l’agriculture, rappelant l’objectif de diminuer de 22% les émissions agricoles d’ici à 2030, et plaidant en faveur d’une transformation en profondeur du système alimentaire. Car si l’agriculture a un impact sur l’environnement, la réciproque est également vraie : en 2022, les dommages causés sur l’agriculture par le réchauffement climatique ont représenté près de 4 millions d’euros de perte. Parmi ses recommandations, le Haut Conseil pour le Climat préconise ainsi de davantage intégrer les questions climatiques dans les formations dispensées par l’enseignement agricole.

Alors qu’écologie et agriculture sont souvent mises en opposition, et que la multiplication des normes environnementales a été l’un des points déclencheurs de la colère des agriculteurs, le gouvernement semble avoir choisi la solution de facilité consistant à mettre à l’arrêt les mesures de protection de l’environnement, à l’image du plan EcoPhyto qui visait à accompagner les agriculteurs vers une sortie des pesticides, et celles au service de l’attractivité du métier, à l’instar du pacte pour le renouvellement des générations agricoles. Si Marc Fesneau a annoncé que l’agriculture serait reconnue comme “un secteur de métiers en tension”, l’enjeu d’attirer de nouveaux profils vers l’agriculture ne pourra se faire sans accélérer la transition vers une agriculture plus durable. C’est ce chantier auquel le gouvernement doit s’atteler pour parvenir à faire de l’agriculture l’un des leviers en faveur du plein-emploi et de l’emploi durable. Gageons que la nomination d’une ministre déléguée à l’Agriculture en la personne d’Agnès Pannier-Runacher, envoyée en renfort auprès de Marc Fesneau, permettra d’investir pleinement ce chantier. Sur le réseau social X, ce dernier a indiqué “le ministère se renforce, pour accompagner les agriculteurs, les entreprises alimentaires et les forestiers pour relever le défi majeur d’assurer notre souveraineté alimentaire et la transition écologique.” De la parole aux actes, il n’y a qu’un pas.