Par Léa Trentalaud, consultante Senior chez CHEFCAB :

« La voie professionnelle fait face à un taux de décrochage colossal de 30%, quatre fois plus élevé que dans l’enseignement général »

L’année 2024 sera celle de la poursuite de la réforme du lycée professionnel, engagée en 2022. Avec l’ambition de “faire de la voie professionnelle une voie d’excellence”, le gouvernement s’attaque à un chantier titanesque alors que le lycée professionnel cumule les difficultés. Bien qu’elle regroupe un tiers des lycéens français, la voie professionnelle fait face à un taux de décrochage colossal de 30%, quatre fois plus élevé que dans l’enseignement général. De plus, les lycées professionnels représentent 76% des établissements affichant les indices de position sociale (IPS) les plus bas, c’est-à-dire ayant le plus d’élèves issus de milieux sociaux défavorisés.

« À l’heure actuelle, seuls 50% des bacheliers professionnels sont en emploi un an après l’obtention de leur baccalauréat »

Créé en 1985 par le ministre de l’Education nationale de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, le baccalauréat professionnel devait contribuer à réaliser l’ambition d’amener “80% d’une classe d’âge au baccalauréat d’ici à 2000”, objectif atteint seulement en 2012. Mais au-delà du niveau bac, l’insertion professionnelle a du mal à suivre pour les lycéens issus de la filière professionnelle. A l’heure actuelle, seuls 50% des bacheliers professionnels sont en emploi un an après l’obtention de leur baccalauréat, et uniquement la moitié de ceux qui poursuivent leurs études réussissent leur BTS. Le lycée professionnel souffre également d’une image dégradée auprès du grand public, qui le perçoit souvent comme une voie subie plutôt que choisie, réservée aux collégiens en échec scolaire.

La réforme à l’oeuvre s’articule autour de plusieurs points ; un renforcement du socle des savoirs fondamentaux, qui se traduit par une augmentation de 10% des enseignements généraux en terminale, la constitution de groupes à effectifs réduits en seconde et en première, et six semaine supplémentaires en terminale, soit pour effectuer un stage complémentaire, soit pour préparer une poursuite d’étude. Des bureaux des entreprises ont également été mis en place dès septembre 2023 au sein des lycées, afin de renforcer les liens entre monde de l’éducation et monde du travail, et faciliter l’accès aux stages pour les lycéens. 

« Plus de 40% des élèves ne maîtrisent pas les attendus en français en classe de seconde professionnelle, contre 70% pour les mathématiques »

Pour nombre de professeurs, l’augmentation de 10% des enseignements généraux promise par la ministre de l’Enseignement et de la Formation professionnels ne suffira pas à compenser les grandes difficultés rencontrées par les élèves. En effet, plus de 40% des élèves ne maîtrisent pas les attendus en français en classe de seconde professionnelle, contre 70% pour les mathématiques. Néanmoins, les syndicats ont obtenu gain de cause avec l’abandon d’une des mesures phares de la réforme, visant à augmenter de 50% la durée des stages en entreprise. Cette dernière avait suscité une levée de boucliers, certains y voyant une façon de mettre les lycéens au travail toujours plus tôt, au détriment des temps de cours. 

Cette réforme, dans la lignée des précédentes, pose la question du rôle intrinsèque des lycées professionnels, tiraillés entre leur rôle de tremplin vers l’emploi dès la sortie du lycée, et le rôle de passerelle vers des études supérieures. La réforme actuelle ne résout pas cette dichotomie, en soutenant les élèves souhaitant poursuivre leurs études, tout en permettant aux élèves souhaitant entrer sur le marché du travail de passer davantage de temps en entreprise.

« L’objectif de 20 000 places dans des formations “courtes et complémentaires” à la rentrée 2025 a été fixé »

Deux chantiers majeurs de cette réforme doivent encore être mis en œuvre, à commencer par la possibilité pour les lycéens d’acquérir une spécialisation après leur baccalauréat professionnel. L’objectif de 20 000 places dans des formations “courtes et complémentaires” à la rentrée 2025 a été fixé. Carole Grandjean a ainsi sonné la mobilisation générale auprès des acteurs de la formation, CFA en tête, pour imaginer de nouvelles formations en bac +1, en prise aux besoins des entreprises.

L’autre chantier, au cœur des crispations, est celui de la transformation de la carte des formations professionnelles. Celle-ci doit permettre de faire coïncider les filières proposées localement dans la voie professionnelle aux besoins d’emploi du territoire. Dit autrement, les formations ayant les taux d’insertion professionnels les plus faibles pourraient être remplacées ou transformées au cas par cas, région par région. Si l’objectif de cette mesure – renforcer l’insertion professionnelle des lycéens issus de la filière professionnelle – est partagé, la méthode peut être questionnée. La différenciation des formations d’une région à l’autre pourrait conduire à une rupture d’égalité entre lycéens en fonction de leur territoire d’origine, et renforcer encore le caractère subi de l’orientation vers la voie professionnelle. Le risque est de réduire le champ des possibles pour les élèves, en leur affectant des formations qu’ils n’ont pas choisi, tout en les assignant également à leur région d’origine. Pour Sigrid Gérardin, responsable du syndicat Snuep-FSU, cette transformation de la carte des formations conduit à n’envisager les lycéens professionnels que comme de la “main d’œuvre à moindre coût”. Cette mesure illustre la différence de perception et de traitement entre la voie professionnelle et la voie générale ; difficile ainsi d’imaginer des spécialités du baccalauréat général à géométrie variable en fonction des régions.

La réforme en cours affiche des intentions louables et partagées, pour autant, sa mise en œuvre opérationnelle pourrait aboutir à une voie professionnelle à deux vitesses, creusant par là même l’écart avec la filière générale. Plutôt qu’une adaptation des formations aux besoins locaux, risquant d’aggraver les inégalités territoriales, une réflexion sur les secteurs porteurs mériterait d’être menée à l’échelle nationale, pour faire du lycée professionnel une voie tournée vers l’avenir, et laissant les mêmes chances à tous ses élèves, indifféremment de leur lieu d’origine.