Par Camille Bourgeois, consultante chez Chefcab

La nomination de Sébastien Lecornu à Matignon avait pour objectif de restaurer une forme de stabilité après la chute rapide de François Bayrou. Deux semaines plus tard, le pays se retrouve dans une situation paradoxale : un Premier ministre en fonction, mais toujours pas de gouvernement. Certes, les premiers rouages sont en place : un cabinet resserré de 41 conseillers, dont les deux tiers sont issus de l’ère Bayrou. Mais la continuité des équipes ne suffit pas à masquer l’instabilité politique. Depuis la dissolution de 2024, nous avons connu cinquante jours d’affaires courantes, trois mois de gouvernement Barnier, neuf mois de gouvernement Bayrou, et à nouveau une vacance du pouvoir.

« Face à ces gouvernements de plus en plus éphémères, l’administration l’emporte sur le politique, les cabinets peinent à recruter, et l’autorité des ministres s’étiole avant même leur nomination. »

C’est précisément pour rompre avec cette impression de fragilité que Sébastien Lecornu a choisi de temporiser. Sa lenteur se veut une méthode : prendre le temps de consulter et de négocier afin de sécuriser une majorité de circonstance avec le PS. Mais ce choix stratégique n’est pas sans risque. ’Sil traduit la volonté d’éviter la précipitation, il installe aussi le sentiment d’un pouvoir suspendu, alors même que le temps, lui, continue de courir.

Car le calendrier budgétaire, implacable, s’invite dans l’équation. La ministre du Budget, Amélie de Montchalin, a fixé les bornes : d’ici la mi-octobre, le texte doit passer entre les mains du Conseil d’État, du Haut Conseil des finances publiques, puis être déposé à l’Assemblée. A défaut, la France basculerait dans le régime contraint des « services votés » : un cadre qui assure le financement des dépenses obligatoires (salaires, retraites, dette) mais fige toute initiative nouvelle, réduisant l’action publique à la simple gestion courante. Autrement dit, trois semaines à peine pour construire une alliance et empêcher que la machine budgétaire ne se bloque. 

Or, les positions sont, pour l’heure, difficilement conciliables entre les socialistes et le parti présidentiel. Emmanuel Macron refuse tout retour en arrière sur la réforme des retraites, présentée comme l’unique acquis social de son quinquennat. Il écarte également la taxe Zucman, jugée néfaste pour l’attractivité économique. De l’autre côté, Olivier Faure pose cette taxe comme un préalable et les syndicats réclament un geste fort sur les retraites.

« Dans ce jeu d’intransigeances, la marge de manœuvre de Sébastien Lecornu paraît étroite : chaque concession fragilise sa majorité, chaque fermeté bloque la négociation. »

À ces tensions internes s’ajoute la pression extérieure. La dégradation de la note française par Fitch a rappelé que la confiance des investisseurs n’allait pas de soi : la dette française est désormais perçue comme l’une des plus risquées de la zone euro. À Bruxelles, cette fragilité budgétaire se double d’un malaise politique. Car l’absence de gouvernement, au-delà du symbole national, projette l’image d’un pays empêché d’agir. La France, deuxième économie du continent et membre fondateur de l’Union, se retrouve spectatrice au moment même où l’Europe tente de renforcer ses moyens budgétaires et sa défense. Voilà qui ajoute une pression supplémentaire : Paris doit agir vite et agir juste, sous peine de voir s’éroder son rôle moteur dans la dynamique européenne. 

« Derrière ce gouvernement fantôme, une question se dessine : le temps que prend Sébastien Lecornu est-il celui d’une stratégie pour bâtir une majorité de circonstances, ou bien celui d’un exécutif qui hésite à assumer ses choix ? »

L’attente n’est pas forcément synonyme d’impuissance. Elle peut être le prix d’un compromis qui, même fragile, permettrait de franchir l’obstacle budgétaire. Mais plus les jours passent, plus cette attente devra se justifier par un résultat tangible. Dans une démocratie où le temps politique est compté, la lenteur n’est acceptable que si elle débouche sur la clarté. À défaut, elle ne fera qu’alimenter le soupçon d’un pouvoir réduit à gérer le provisoire.