Par Léa Trentalaud, consultante Senior chez CHEFCAB

Alors que le gouvernement reste concentré sur l’objectif de plein-emploi, scrutant chaque mois l’évolution de la courbe du chômage, les données venant de l’Outre-mer jettent une ombre au tableau. A des milliers de kilomètres de l’hexagone, les départements et régions d’Outre-mer – Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion, Guadeloupe – sont très loin des 5% de chômage visés par l’exécutif. Le chômage à la Réunion s’élevait par exemple à 20,3% de la population active au dernier trimestre 2023, en Guadeloupe, près de 17,4% de la population active était au chômage, contre 12,1% en Guyane, et 9,9% à la Martinique. A Mayotte, où la croissance démographique atteint les 3,8% par an, le taux de chômage frôle même les 34%, si bien que l’archipel est exclu du calcul du taux de chômage national. Les difficultés économiques de ces territoires pèsent sur l’emploi local et sur les opportunités professionnelles des populations locales.

« les natifs des Antilles et de la Réunion ont environ 20 à 25% moins de chances d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, par rapport aux natifs de métropole »

France Stratégie, dans une note d’analyse publiée au mois de mai, parle même d’une “pénalité Outre-Mer” dans le champ éducatif et professionnel. Les chiffres sont éloquents : les natifs des Antilles et de la Réunion ont environ 20 à 25% moins de chances d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, par rapport aux natifs de métropole. Cette inégalité sur le plan de l’éducation se traduit ensuite dans leur insertion professionnelle, puisqu’ils ont 12% moins de chances d’accéder à l’emploi, et 35 à 45% moins de chances de devenir cadres, que leurs compatriotes de l’hexagone. Cependant, ces chiffres varient entre ceux restés dans leur région d’origine, et ceux ayant rejoint la métropole. Ces derniers ont ainsi des taux d’obtention de diplômes supérieurs et d’accès à l’emploi comparables aux métropolitains. Mais le plafond de verre subsiste pour les postes de cadres, les natifs des Antilles sont 30% moins nombreux que les métropolitains à occuper ces postes. Cette inégalité pourrait en partie s’expliquer par les discriminations à l’embauche dont les personnes originaires des Outre-mer sont victimes ; selon le rapport de l’observatoire des inégalités publié fin 2023, 32% des personnes originaires des territoires ultra-marins, et 33% de leurs descendants disent avoir été discriminés au cours des 5 dernières années. La “pénalité Outre-Mer” devient ainsi double-peine, une fois cumulée aux discriminations raciales persistantes.

« La loi plein-emploi, votée en décembre dernier, prévoit la publication d’ordonnances pour adapter le texte aux enjeux des DROM »

Face à ce constat, les politiques publiques nationales doivent être adaptées aux spécificités des départements et régions d’Outre-mer, afin de garantir aux ultra-marins les mêmes chances qu’aux habitants de l’hexagone. La loi plein-emploi, votée en décembre dernier, prévoit la publication d’ordonnances pour adapter le texte aux enjeux des DROM. Si le gouvernement avait prévu d’associer les parlementaires ultramarins et les collectivités concernées à la préparation de ces ordonnances, ces derniers n’ont pas été convaincus par la méthode, regrettant l’absence de dispositions spécifiques aux Outre-mer dans la loi, qui auraient pu faire l’objet d’un vote au parlement. Le député NUPES de La Réunion Frédéric Maillot a même accusé le gouvernement de néo-colonialisme. Alors que ces ordonnances devaient être publiées dans les 6 mois suivant la publication du texte, soit en juin au plus tard, il semblerait que les élus d’Outre-Mer n’aient été reçus qu’une seule fois par le ministère du Travail.

D’autres mesures spécifiques ont été mises en place pour favoriser l’égalité des chances des natifs des Outre-Mer, à l’instar de “Cadres avenir”. Ce dispositif permet de financer la formation dans l’Hexagone de jeunes natifs d’Outre-Mer, dans des secteurs d’activité identifiés comme en tension dans leur territoire d’origine. En contrepartie, les jeunes doivent s’engager à revenir y travailler à minima 3 ans. L’objectif est double : aider matériellement les jeunes à suivre une formation en métropole, et favoriser leur retour au territoire, pour répondre aux fortes tensions de recrutement dans les Outre-Mer. Si ce dispositif part d’une bonne intention, il est difficile d’imaginer un tel système dans un département hexagonal, où l’obligation de revenir travailler sur place pendant plusieurs années soulèverait sans doute de fortes contestations.

« un investissement massif en faveur de l’emploi et de la formation professionnelle devrait être consacré dans les DROM »

Outre ces mesures à la portée limitée, au regard des inégalités systémiques rencontrées par nos compatriotes ultramarins sur le marché du travail, un investissement massif en faveur de l’emploi et de la formation professionnelle devrait être consacré dans les DROM. Or les récentes économies annoncées par l’exécutif ne les épargnent pas : le ministère des Outre-Mer se voit ainsi amputé de près de 83 milliards d’euros, dont 3,9 millions pour la partie dédiée au soutien à l’emploi et à la compétitivité des entreprises locales. Une stratégie questionnable face à la “pénalité Outre-Mer” pointée par France Stratégie.

Au-delà de l’objectif de plein-emploi à l’échelle national, le gouvernement doit impérativement veiller à réduire les disparités territoriales en matière d’emploi, et à combler les fractures béantes observées entre la métropole et les Outre-Mer.