Par Nicolas Citti, consultant chez CHEFCAB

En mars 1968, quelques semaines avant les manifestations étudiantes sur les pavés brûlants de la Capitale, le journaliste Pierre Viansson-Ponté, alors éditorialiste politique au journal Le Monde, écrivait avec brio “Quand La France s’ennuie”, critiquant ce qu’il considérait être une apathie généralisée de la société française, ayant plongé depuis peu dans la consommation de masse, et bien loin des tracas des guerres et évènements extérieurs. Aujourd’hui, bientôt 60 ans après cet édito – qui a durablement marqué l’histoire de la presse nationale – il est grand temps de crier haut et fort ces quelques mots : La France ne s’ennuie plus, au contraire, elle bouillonne et s’impatiente !

« 15 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés, permettant la création à venir de 10 000 emplois supplémentaires sur le sol français »

Pourquoi de telles paroles ? Nous vivons en effet depuis le début du printemps au rythme de la flamme olympique ; On exulte dès qu’elle arrive à bon port, frissonne lorsqu’elle est ravivée et tremble de la voir s’éteindre avant son arrivée à Paris. En parallèle, l’ensemble des acteurs économiques se réjouissent ; non des festivités au sein de la cité Phocéenne, mais des indicateurs très positifs de l’attractivité française, et des bonnes affaires qui vont certainement en résulter, alors que le Sommet Choose France s’est tenu lundi dernier à Versailles. Résultat des tractations ; 15 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés, permettant la création à venir de 10 000 emplois supplémentaires sur le sol français, notamment grâce à l’implantation de fleurons industriels étrangers, à l’instar d’Amazon, de Pfizer ou encore de Microsoft.


Nul doute que ces annonces permettront au gouvernement de retrouver aux yeux de l’opinion publique une certaine crédibilité, jusqu’ici en mauvaise posture depuis l’annonce d’un projet de cotation de Total Energies au Dow Jones, la principale place boursière de New York. Ainsi, attirant les champions de la logistique, de la pharmaceutique ou encore de l’informatique, le Président de la République semble vouloir se positionner en tant que capitaine d’industrie, à bord d‘un navire qui parfois doute, semble parfois chavirer en cas de grand vent, mais qui maintient toujours un certain cap.

« Le président se prend pour le lobbyiste en chef du pays »

Toutefois, vu de l’étranger, ces chiffres – affichés dans l’Hexagone comme une réussite de la politique économique menée depuis 2017 – ont suscité étonnements et sarcasmes. Le site Quartz titrait récemment aux Etats Unis « Ma chère Paris, voici vos 16 milliards de dollars » précisant qu’une “somme importante des investissements provient d’entreprises américaines bien connues parmi lesquelles Microsoft, Amazon et Pfizer » et rappelant que ces annonces interviennent à un moment « où le pays est empêtré dans son déficit public et ses 7,5 % de chômage ». De son côté, le site suisse Blick notait avec ironie : “il y a aujourd’hui en France un président qui ramène des milliards (..) c’est presque devenu le rituel présidentiel préféré d’Emmanuel Macron, ce chef de l’État qui fut banquier d’affaires ». Outre Rhin, le ton était plus acerbe, en témoigne cette phrase du premier quotidien Handelsblatt : “Le président se prend pour le lobbyiste en chef du pays ».


Jalousie mal placée ou réindustrialisation en demi-teinte ?


Derrière ces annonces présidentielles, se cache en effet une situation à nuancer. Certes, la France occupe dans le classement EY la première place en Europe en 2023 en matière d’attractivité des capitaux étrangers, et cela pour la cinquième année consécutive, mais il ne faudrait guère passer sous silence ces investissements qui portent principalement sur des extensions de sites d’ores et déjà construits, selon une enquête de L’Usine Nouvelle. Cette enquête met en lumière les dessous d’une réindustrialisation exaltée par l’exécutif ; sur 122 projets d’usines, seulement 27 concernaient exclusivement l’implantation de nouvelles usines ou nouveaux centres de recherche ; les abandons de projets demeurent à la marge. Quand la grande réindustrialisation laisse place à la grande extension. A ces projets s’ajoutent bien sûr des centaines de créations d’emplois, mais souvent très qualifiés et qui ne sauraient endiguer de façon durable la remontée du taux de chômage, et faire du plein-emploi une réalité à court terme.


Dès lors, si nous souhaitons collectivement répondre à l’objectif de plein-emploi par une dynamique industrielle, une attention toute particulière doit être portée vers la montée en compétences du personnel non qualifié, afin qu’il puisse non seulement participer à l’effort de production et éviter un déclassement économique majeur, qui alourdirait nos dépenses publiques sociales.


Dans cette France où l’on ne s’ennuie plus, où des échéances importantes nous attendent lors de ces prochains mois – Échéances sportives, politiques, économiques voire géopolitiques -, il s’agira de ne pas oublier l’essentiel : apaiser durablement le climat social.