Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB :

« La loi posera le socle commun auquel la négociation ne peut déroger, socle qui constitue les droits essentiels communs à l’ensemble des salariés de notre pays ; pour toutes les autres règles du travail, je laisserais la plus grande liberté à la négociation collective d’entreprise, de groupe ou de branche”. Porté par les sondages et une dynamique de campagne forte, qui sera confirmée quelques semaines plus tard par l’une des plus importantes majorité obtenue à l’Assemblée nationale dans l’histoire de la Vème République, Emmanuel Macron avait annoncé dès la campagne présidentielle sa conception du dialogue social. La loi fixe le cadre au sein duquel les partenaires sociaux agissent ensuite dans l’entreprise. À la lecture de cette citation du Président en exercice, 2017 paraît loin. Il faut dire qu’elle doit paraître bien lointaine pour Emmanuel Macron avant tout. 2017, c’est l’euphorie. À 38 ans, Emmanuel Macron fait son entrée à l’Élysée, bouleverse le paysage politique par des méthodes nouvelles et double son succès présidentiel d’un strike parlementaire : plus de 350 députés composent la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, pour les 5 années à venir. Rapidement, Emmanuel Macron souhaite imprimer sa politique par des mesures fortes et profiter pleinement de la situation parlementaire qui lui est favorable pour légiférer vite. Dès le mois de juin 2017, il porte la réforme du code du Travail en légiférant par voie d’ordonnances, pour accélérer encore la procédure parlementaire. D’autres textes majeurs suivront, suscitant régulièrement une forte opposition syndicale (réforme de la SNCF, assurance chômage, retraite…) mais dont les leviers politiques restent limités pour imposer des mesures ou un calendrier. Alors que François Hollande avait fait de la relance du dialogue social un axe fort de son action, le premier quinquennat Macron marque sa mise au second plan, le gouvernement allant parfois à l’encontre des accords nationaux interprofessionnels signés par les syndicats.

« Alors que François Hollande avait fait de la relance du dialogue social un axe fort de son action, le premier quinquennat Macron marque sa mise au second plan »

Les élections présidentielle et législatives de 2022 se révèlent être un tournant dans la position que les partenaires sociaux vont occuper. La fracturation du paysage politique, incarnée par une Assemblée nationale divisée en 10 groupes parlementaires et une majorité dont les rangs se sont clairsemés, offre aux partenaires sociaux une opportunité pour briller à nouveau. Les organisations syndicales ont voix au chapitre et font front commun pour imposer leur propre agenda social à un gouvernement bien plus affaibli que précédemment. En l’espace de quelques mois, elles ont endossé un rôle de titulaire indiscutable après avoir passé un long moment sur le bord de la touche. Sans majorité, Élisabeth Borne met toute son expérience en matière de dialogue social au profit d’un gouvernement qui doit impérativement se trouver de nouveaux alliés, au risque de ne pas pouvoir agir.

Les organisations syndicales ont voix au chapitre et font front commun pour imposer leur propre agenda social à un gouvernement bien plus affaibli que précédemment

L’année 2023 qui s’achève a ainsi été marquée par un nombre important d’invitations à se rendre à Matignon adressées aux leaders syndicaux. À titre d’illustration, le gouvernement s’était engagé à transposer dans la loi l’ANI signé par les partenaires sociaux sur le partage de la valeur, ce qui s’est produit à travers le projet de loi présenté en mai dernier. En juillet, aux côtés de son ministre du Travail, Élisabeth Borne s’est engagée à “transcrire fidèlement et intégralement dans la loi les accords qui seraient trouvés entre les partenaires sociaux” au sujet de l’emploi des seniors ou des reconversions. Qui l’eut crû ?

L’omniprésence de la “concertation” et de la “consultation” dans les propos des membres du gouvernement à l’évocation de la nouvelle année qui arrive, donne le ton du dialogue entre l’État et les partenaires sociaux

Au regard des priorités gouvernementales des prochains mois, à travers la réforme de la fonction publique, les discussions sur le nouveau Pacte de la vie au Travail et une future loi sur l’emploi, 2024 sera dans la continuité de 2023 au plan du dialogue social. L’omniprésence de la “concertation” et de la “consultation” dans les propos des membres du gouvernement à l’évocation de la nouvelle année qui arrive, donne le ton du dialogue entre l’État et les partenaires sociaux. Néanmoins, cette position renforcée des organisations syndicales dans la construction des politiques publiques demeure fragile. Les élections présidentielle et législatives de 2027 arrivent à grand pas, et leurs lots d’incertitudes avec. Le dialogue social retrouvé depuis peu ne tient qu’à une situation politique bien particulière, qui pourrait laisser sa place à un nouveau fait majoritaire prenant le pas sur le reste. Nous devons trouver collectivement les moyens de pérenniser la bonne coordination entre les acteurs politiques et sociaux, qui puisse garantir une prise en compte des positions des corps intermédiaires et limiter les blocages politiques durables.