Par Corentin Dattin, consultant chez CHEFCAB

Si Stanislas Guérini est parvenu, au prix de longues tractations, à conserver un ministère de plein exercice à l’issue du dernier remaniement, c’est notamment parce qu’il doit présenter cette année une réforme de la fonction publique qui porte un coup de pied dans la fourmilière administrative. Le texte, qui doit être dévoilé à l’automne, fait déjà chaudement réagir au sein de la fonction publique. Comme pour préparer les esprits, le ministre en révèle les contours au compte-gouttes par voie de presse, ce qui n’est pas de nature à pacifier ses relations avec les partenaires sociaux.

Les points de crispation résultent des dernières déclarations du ministre de la fonction publique : lever “le tabou” du licenciement, modifier le calcul de la rémunération, supprimer les catégories de fonctionnaires… D’aucuns diront que Stanislas Guérini fait preuve de courage politique en s’attaquant au statut de la fonction publique. D’autres y verront plutôt une dérive qui tend à fondre la fonction publique sur le modèle du privé, au risque de renier ses principes fondateurs. Après l’émergence ces dernières années des notions de “performance” et “d’évaluation” des politiques publiques, du recours massif aux contractuels dans la fonction publique ou de la délégation croissante des services publics à des entreprises privées, parler de licenciements et de rémunération au mérite pour les fonctionnaires s’apparente effectivement au franchissement d’une marche supplémentaire vers un rapprochement du public et du privé en termes de culture et de fonctionnement.

« Bien plus qu’un simple privilège vis-à-vis du secteur privé, la garantie de l’emploi des fonctionnaires est un garde-fou essentiel pour protéger ceux qui servent l’État des dérives du pouvoir exécutif »

Deux écueils entourent cependant cette nouvelle réforme de la fonction publique. D’abord, en parlant de “tabou du licenciement” des fonctionnaires, alors que celui-ci existe d’ores et déjà, par exemple pour insuffisance professionnelle, le gouvernement prend le risque de revenir sur les fondements du statut de la fonction publique. L’instauration d’une garantie de l’emploi pour les agents de l’État, si souvent remise en question, tire son origine d’une réflexion simple : servir l’État en tant que fonctionnaire doit se faire dans un cadre sécurisé, sans risque vis-à-vis des changements que connaît le pouvoir politique. Cette garantie de l’emploi est un moyen de garantir en retour un service public impartial. Détaché de toute pression de la part du pouvoir en place, l’agent public assure ses fonctions de façon indépendante. Bien plus qu’un simple privilège vis-à-vis du secteur privé, la garantie de l’emploi des fonctionnaires est un garde-fou essentiel pour protéger ceux qui servent l’État des dérives du pouvoir exécutif.

Le second écueil est relatif à l’instauration d’une rémunération au mérite, car celle-ci viendrait récompenser des performances individuelles alors même que les agents publics s’engagent pour servir l’intérêt général. Dans une contribution publiée il y a quelques jours, le think-tank Sens du service public rappelle très justement que la rémunération au mérite est utilisée dans le secteur privé pour améliorer la productivité du travailleur, concept qui s’applique mal à la sphère publique qui promeut avant tout le collectif. Pour les défenseurs de cette mesure, prendre davantage en compte le mérite dans le calcul de la rémunération des fonctionnaires est un levier pour améliorer l’attractivité de la fonction publique, en adoptant les codes du privé. À cela, Sens du service public répond qu’il serait préférable de récompenser le mérite au niveau du collectif, alors que l’administration fonctionne de plus en plus en mode projet. Le think tank a posé sur la table une idée qui pourrait faire son chemin, visant à offrir la possibilité aux employeurs publics de négocier de façon pluriannuelle un dispositif d’intéressement collectif.

« plutôt que de prendre le problème de l’efficacité de la fonction publique sous l’angle du licenciement ou du mérite, il pourrait être préférable de porter le regard sur les souhaits de carrière des agents et leurs aspirations »

Par ailleurs, plutôt que de prendre le problème de l’efficacité de la fonction publique sous l’angle du licenciement ou du mérite, il pourrait être préférable de porter le regard sur les souhaits de carrière des agents et leurs aspirations. La fonction publique gagnerait en attractivité auprès des jeunes en proposant des évolutions de carrière plus régulières et en apportant plus de souplesse dans le système d’avancement par grade actuellement en vigueur. Sans pour autant remettre en question les principes qui régissent la fonction publique et la préservent.