Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB

C’est LE moment d’Emmanuel Macron chaque année depuis 2018, encore plus depuis qu’il est cantonné au rôle de spectateur de la vie politique intérieure. Recevoir à Versailles des centaines de patrons internationaux, afin de vanter les atouts de la France en matière d’attractivité et se positionner comme terre européenne favorite pour les investissements étrangers.

« Cette année encore, la France bat des records. Après 7 milliards en 2022, 13 en 2023, 15 en 2024, 20 milliards d’euros d’investissements nouveaux ont été annoncés par l’Elysée cette semaine »

Cette année encore, la France bat des records. Après 7 milliards en 2022, 13 en 2023, 15 en 2024, 20 milliards d’euros d’investissements nouveaux ont été annoncés par l’Elysée cette semaine, auxquels il faut ajouter les investissements déjà communiqués lors du Sommet sur l’IA, portant le ticket final à 37 milliards pour l’année 2025. Assurément, ce millésime de Choose France détient des notes prononcées de satisfaction, dans un contexte économique par ailleurs morose, marqué par une situation internationale très tendue. Cette pluie de milliards, entre géants économiques et annonces chiffrées sur l’IA, l’industrie ou l’énergie, s’est naturellement imposée en Une de la presse cette semaine.

« Néanmoins, derrière les effets d’annonce, se cache une réalité plus complexe sur les retombées concrètes de ces investissements étrangers »

Néanmoins, derrière les effets d’annonce, se cache une réalité plus complexe sur les retombées concrètes de ces investissements étrangers. D’une part, selon EY, la France a enregistré en 2024 son plus bas niveau d’investissements étrangers depuis sept ans (hors Covid), avec 1 025 projets, en recul de 14 % sur un an. Dans le même temps, les créations d’emplois industriels chutent de 40 %, de nombreuses usines baissent le rideau, et les projets d’extension d’acteurs industriels se tarissent. De fait, Denis Ferrand, directeur de l’institut Rexecode, voit dans cette édition 2025 de Choose France une forme de rattrapage de l’attractivité française plutôt qu’un véritable leadership.

« Il apparaît qu’en moyenne, 30 emplois sont créés par projet en France, alors qu’ils sont 48 en Allemagne et 125 en Espagne »

Dans les pages des Échos, Olivier Lluansin, professeur au CNAM, pointait également l’écart entre les montants d’investissements annoncés et la qualité des emplois générés sur le territoire. D’abord, il apparaît qu’en moyenne, 30 emplois sont créés par projet en France, alors qu’ils sont 48 en Allemagne et 125 en Espagne. Ensuite, s’appuyant sur des données de l’Insee, on note que les emplois générés par les investissements de multinationales en France sont principalement peu qualifiés. Si les délocalisations industrielles des années 1990 et 2000 ont surtout concerné le travail peu qualifié, entre 2018 et 2020, elles ont majoritairement touché les emplois qualifiés, signe d’un retournement inquiétant. En d’autres termes, cela crée des emplois peu qualifiés en France, et délocalise des emplois qualifiés. À l’heure où la France entend donner un coup d’accélérateur à la transition numérique et à l’innovation, dans la continuité du sommet sur l’IA, ces données sur l’emploi pourraient contraindre la trajectoire fixée et contrastent avec l’enthousiasme affiché à Versailles cette semaine.

« La solution se trouve sans doute du côté des entreprises françaises, réalisant de nombreux investissements chaque année pour créer de l’emploi, sans délocaliser »

Dans une étude parue cette semaine, l’Institut Montaigne plaide pour une massification de la formation de talents qualifiés pour suivre le rythme de la réindustrialisation. Selon les auteurs, il faudrait “60 000 ingénieurs et techniciens supplémentaires chaque année ” destinés à l’industrie de demain. Il est clair que cela nécessite de lever le voile sur les besoins réels en emploi qui découlent des investissements colossaux réalisés par les groupes internationaux, et de questionner les freins au développement du travail qualifié sur notre sol. Le risque serait de sur-anticiper des besoins en travail qualifié et de créer  un embouteillage au moment de s’insérer dans l’emploi. La solution se trouve sans doute du côté des entreprises françaises, réalisant de nombreux investissements chaque année pour créer de l’emploi, sans délocaliser. Après Choose France, viendra peut-être la première édition de “Stay in France  ”,  valorisant l’investissement local, l’emploi qualifié et durable ?