Par Alexandra Gaboriau, consultante chez CHEFCAB
« Parfaitement irresponsable », « dévastateur » : dans un hémicycle clairsemé, le Ministre délégué chargé de l’Industrie, Marc Ferracci, n’a pas mâché ses mots pour qualifier l’amendement voté ce jeudi 19 juin, imposant un moratoire sur les nouveaux projets éoliens et photovoltaïques. En quelques lignes, c’est l’architecture même de la politique énergétique française qui se trouve remise en cause, sous l’impulsion conjointe de la Droite républicaine et du Rassemblement national.
Une décision qui signe un retour en arrière aux conséquences néfastes. À l’heure où la France doit accélérer sa transition énergétique, ce gel brutal des projets renouvelables affaiblit la capacité du pays à bâtir un mix énergétique équilibré. Il revient à privilégier une relance nucléaire dont les effets ne seront perceptibles qu’après 2038, alors même que les tensions sur l’approvisionnement électrique se manifestent déjà, notamment en période de canicule.
Au moment de l’adoption de la loi, l’effet sera immédiat : ce moratoire suspend non seulement le dépôt, mais aussi l’instruction de centaines de projets déjà engagés.
Ce sont des mois de concertation anéantis, des investissements gelés, et surtout un risque massif de décrochage pour une filière qui représente déjà plus de 100 000 emplois. Loin d’être un débat théorique, cette mesure vient aussi percuter un tissu économique composé de PME, de bureaux d’études, d’artisans d’installateurs et de techniciens, répartis sur l’ensemble de l’hexagone.
À l’horizon 2030, ce sont près de 300 000 créations d’emplois supplémentaires qui étaient attendues dans les énergies renouvelables et les secteurs liés à la décarbonation. Le solaire (30 000 emplois), l’éolien terrestre et en mer (55 000 emplois, dont 20 000 en mer), l’hydrogène (100 000 emplois), les bioénergies – incluant la biomasse (40 000 emplois), les biocarburants (35 000 emplois) et le biogaz (25 000 emplois) – ou encore la géothermie (10 000 emplois) devaient contribuer à une dynamique territoriale solide, répondant à des besoins de formation, de reconversion, et de montée en compétences. Comme l’a exprimé France Renouvelables, par la voix de Mattias Vandenbulcke, il s’agit ni plus ni moins du « plus grand plan social jamais voté à l’Assemblée nationale ».
Le moratoire révèle une contradiction flagrante : le même jour, les députés ont validé un objectif de 200 TWh d’électricité renouvelable à l’horizon 2030 … tout en suspendant les dispositifs pour l’atteindre.
Cette dissonance interroge d’autant plus que les réacteurs nucléaires promis ne compenseront pas, à court terme, l’augmentation de la consommation liée à l’électrification des usages. Le vote de l’amendement, intervenu dans un hémicycle clairsemé, avec 65 voix pour et 62 contre, met en lumière les fragilités d’une majorité relative confrontée à l’absence de ligne claire sur ces sujets. L’alliance politique de la droite, combinée à l’absence des députés EPR et Horizons, a permis l’adoption d’une mesure sans débat approfondi ni majorité franche. Un décalage qui interroge sur la solidité du parcours législatif engagé par le gouvernement, et sur la capacité à porter une trajectoire énergétique cohérente dans la durée.
À l’heure où l’Union européenne accélère sa réindustrialisation verte, la représentation nationale fait fausse route. Ce moratoire envoie un signal contraire aux investisseurs, et expose notre tissu industriel à de nouvelles fragilités. Des acteurs français avaient commencé à relocaliser certaines chaînes de valeur dans le photovoltaïque dans un bras de fer avec la Chine : cet élan est désormais compromis.
Mais des ajustements sont encore possibles. L’étude prévue par l’amendement pourrait être confiée à une instance indépendante (CRE ou RTE), circonscrite dans le temps, et articulée avec la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie. Certains projets, par exemple sur friches, toitures, ou terrains déjà artificialisés, pourraient être exclus du champ du gel. Enfin, une clause de sortie automatique pourrait être considérée afin de limiter les effets d’une inertie administrative. Une telle disposition permettrait de lever le moratoire de plein droit à l’issue d’un délai défini ou à la remise de l’étude prévue, sans qu’il soit nécessaire d’engager une nouvelle décision politique.
Sur le plan politique, il est encore possible de corriger le tir. Le gouvernement dispose de deux options prévues par le droit parlementaire – à l’exclusion du 49.3, qui reviendrait à jeter de l’huile sur le feu. La première consiste à retirer purement et simplement le texte de l’ordre du jour avant le vote solennel.
Ce retrait mettrait fin au processus législatif en cours et éviterait qu’un texte profondément altéré ne soit définitivement adopté. Cette option reste délicate sur le plan politique, car elle pourrait être perçue comme un désaveu du vote de l’Assemblée. Mais elle clarifierait la position de l’exécutif et stopperait les effets du moratoire. La seconde hypothèse repose sur l’article 101 du règlement de l’Assemblée permettant une seconde délibération sur l’amendement contesté, à l’initiative du gouvernement ou de la commission saisie au fond. Ce mécanisme permettrait de corriger le contenu du texte sans en interrompre le parcours.
Si la mesure devait subsister dans la version finale de la loi, sa validité juridique resterait fragile : un recours devant le Conseil d’État pourrait être exercé, et son application écartée si elle contrevient au droit de l’Union européenne. Le passage par le Sénat, la commission mixte paritaire et le Conseil constitutionnel pourrait également compromettre son maintien.