Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB

« En 2024, l’écart salarial entre femmes et hommes demeure à 14 % à temps de travail identique, au-dessus de la moyenne européenne de 13 %. »

À l’horizon 2026, la France s’apprête à transposer dans son droit la directive européenne sur la transparence des rémunérations, adoptée en mai 2023 par le Conseil de l’Union européenne. Si cette nouvelle législation pourrait bien marquer un changement profond dans la pratique des employeurs, elle représentera avant tout un grand pas en avant dans la lutte contre les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. La France a bien amorcé des progrès en la matière – les inégalités de revenu salarial se sont réduites de 10 points depuis 1995 – mais elle reste cependant encore à la traîne en matière de transparence. En 2024, l’écart salarial entre femmes et hommes demeure à 14 % à temps de travail identique, au-dessus de la moyenne européenne de 13 %. Pour les législateurs européens, des obstacles structurels persistent : stéréotypes sexistes, perpétuation du « plafond de verre » et du « plancher collant », surreprésentation des femmes dans les emplois de services faiblement rémunéré ou encore discrimination, directe et indirecte, en matière de rémunération fondée sur le sexe.

« La directive européenne sur la transparence des rémunérations entend imposer une série de mesures censées transformer la manière dont les entreprises abordent la question des salaires. »

Face à des pratiques durement ancrées, la loi se révèle bien souvent comme un moyen coercitif efficace pour enclencher un changement. Nombreux étaient les conservateurs qui estimaient que l’imposition de quotas pour les élections locales et nationales était une atteinte à la liberté de choix et une forme de discrimination inversée. Pourtant, au gré des lois successives, la méthode a montré son efficacité : la part des femmes dans les conseils municipaux atteint 42,4% après les élections en 2020 et sur les 81 eurodéputés français élus lors des élections européennes de 2024, 50,6% sont des femmes, pour ne citer que ces chiffres. La directive européenne sur la transparence des rémunérations entend imposer une série de mesures censées transformer la manière dont les entreprises abordent la question des salaires. D’abord, l’accès des candidats aux fourchettes salariales dans les offres d’emploi sera rendu obligatoire, dans l’objectif de garantir une négociation éclairée et transparente en matière de rémunération, en amont d’un entretien de recrutement. Selon les données fournies par le Hiring Lab d’Indeed, 50,7 % des offres d’emploi en France incluent d’ores et déjà des informations sur la rémunération. Pris en comparaison avec nos voisins européens, l’Hexagone n’est pas le mauvais élève du groupe mais demeure loin du Royaume-Uni, où ce taux atteint 69,7 %. Parallèlement, la transposition de la directive européenne en droit Français mettra fin à la possibilité pour les employeurs de demander aux candidats leur historique de rémunération au cours de leurs relations de travail actuelles ou antérieures, afin d’éviter que des sous-évaluations ne conditionnent la rémunération future des candidats. Enfin, le cœur de la directive réside dans l’accès des salariés à des informations détaillées sur les salaires au sein de leur propre entreprise. Les entreprises de plus de 100 salariés devront désormais publier des rapports transparents sur les écarts de rémunération entre femmes et hommes, pour mettre en lumière les disparités cachées et, par conséquent, exercer une pression pour y remédier.

« Pour cela, l’écueil à éviter est que l’État avance en silo, sans embarquer l’ensemble des parties prenantes (…) »

L’entrée en vigueur dans quelques mois de ces mesures soulève plusieurs enjeux et défis pour les employeurs français. Le premier est celui de l’anticipation. Il est impératif de créer les conditions d’une bonne compréhension de ces mesures par les entreprises, notamment les plus petites, souvent moins organisées sur le plan des ressources humaines. Pour cela, l’écueil à éviter est que l’État avance en silo, sans embarquer l’ensemble des parties prenantes : partenaires sociaux, employeurs, acteurs de l’emploi et des ressources humaines. Préparer le terrain est essentiel pour que ces avancées ne se transforment pas en grand renoncement. L’autre défi est celui de la pédagogie. À l’heure où la plupart des secteurs d’activité font face à des difficultés de recrutement et de fidélisation, les employeurs devront comprendre que la transparence salariale ne représente pas seulement un impératif législatif, mais aussi un levier pour renforcer l’attractivité de leur entreprise et la confiance des salariés.  

Au regard de ce calendrier approchant et des enjeux importants soulevés par l’évolution de la réglementation, nul doute que la conférence sociale qui se tiendra dans les prochaines semaines posera les jalons d’une discussion attendue et nécessaire pour embarquer l’ensemble des acteurs vers une véritable culture de la transparence en matière de rémunération.