Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB
« Dans cette valse de mouvements ministériels et de déménagements de bureaux, certains éléments sont restés en place malgré tout. »
Les cartons se sont faits et défaits plus d’une fois depuis quelques mois au sein des différents ministères, au gré des gouvernements qui se sont succédés dernièrement. Dans cette valse de mouvements ministériels et de déménagements de bureaux, certains éléments sont restés en place malgré tout. Des visages et des noms d’abord, au sein des équipes de conseillers qui entourent les membres de l’exécutif et qui constituent un fil rouge essentiel pour garantir un suivi des travaux engagés dans la durée. Et des intentions aussi, à commencer par le souhait renouvelé de voir se tenir en cette année 2025 une grande concertation sur le travail. Évoquée depuis plusieurs mois, elle n’a pu réellement voir le jour, pénalisée par l’instabilité politique de l’année 2024. Le nouveau gouvernement parviendra-t-il à la mettre une bonne fois pour toute sur pied ? Il a en tout cas temporairement stabilisé ses appuis en extirpant le PS des bras de LFI.
Du côté du Premier ministre François Bayrou, on veut y croire. À l’occasion de son discours de politique générale, le béarnais a posé les bases d’une “concertation sur le travail et les salaires”. Outre la rémunération et l’enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes, le Premier ministre souhaite que cette concertation puisse s’attaquer à la question du bien-être au travail, des conditions de travail et de la santé des salariés. Sujets ô combien majeurs, ils auraient dû faire l’objet de discussions entre toutes les parties prenantes il y a plusieurs mois déjà. Il n’est jamais trop tard !
« Marylise Léon a en effet saisi la main tendue du Premier ministre sur les retraites et accepte d’ouvrir la discussion avec l’intention de peser pour ramener l’âge légal de départ à 62 ans. »
Un mois jour pour jour après sa nomination, la perspective de cette concertation fait figure pour le gouvernement de premier test en matière de dialogue social. Du côté de la CFDT, première organisation représentative des salariés, des signaux positifs ont été envoyés. Marylise Léon a en effet saisi la main tendue du Premier ministre sur les retraites et accepte d’ouvrir la discussion avec l’intention de peser pour ramener l’âge légal de départ à 62 ans. Néanmoins, sur le travail, un vif débat s’est ouvert depuis que Catherine Vautrin a exprimé dans les colonnes du Journal du Dimanche son intention de soutenir la proposition sénatoriale visant à instaurer 7 heures de travail non rémunéré par an, pour générer deux milliards d’euros fléchés vers la branche autonomie de la Sécurité sociale. S’en est suivi une levée de boucliers de la part des syndicats salariés et patronaux, considérant cette mesure comme une tentative d’affaiblir encore davantage les conditions de travail des salariés ou un risque de fragiliser les petites entreprises. Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail, s’est montrée plus mesurée en renvoyant le sujet au débat parlementaire et à la discussion avec les partenaires sociaux. L’exécutif évoque la possibilité de traduire cela à travers “10 minutes de travail non rémunéré par semaine sur toute l’année”, comme pour adoucir l’impact de cette annonce et éteindre le début d’incendie provoqué. “Il ne faut jamais avoir bossé pour penser ça” rétorque Michel Picon, président de l’U2P.
Plus largement, ce débat ravive sans doute le sentiment que la promesse macroniste visant à ce que “le travail paye” est vaine, dans un contexte de croissance atone des salaires. Dans une récente enquête, le Groupe Alpha pointait en effet le risque d’augmentations de salaire pour 2025 inférieures à celles de 2024, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO). Des prévisions qui confirment les inquiétudes des syndicats face à une politique salariale pour l’heure timide en période d’inflation et de hausse des coûts de la vie.
« un environnement institutionnel toujours fragile, où les doutes sont encore permis quant à la longévité des accords politiques »
La concertation annoncée sur le travail et les salaires s’apparente dès lors comme un exercice d’équilibriste entre l’injonction à trouver de nouvelles sources de financement pour le système de protection sociale et des mesures attendues par les partenaires sociaux en faveur de la rémunération, de la santé et du sens au travail. Le tout dans un environnement institutionnel toujours fragile, où les doutes sont encore permis quant à la longévité des accords politiques qui se dessinent péniblement entre socialistes hésitants, macronistes funambules et Républicains inflexibles.